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Toutes les opérations qui pouvaient se faire sur un meuble ou sur un immeuble, se faisaient aussi sur l’esclave. Si l’esclave s’enfuyait, on disait qu’il volait son maître, et cela était vrai suivant la manière de penser des anciens; par sa fuite, il dérobait à son maître sa propre personne. Aussi le maître avait-il le droit de le poursuivre et de le rechercher dans la maison d’autrui. Donner asile à un esclave n’eût pas été un acte de charité, mais un vol.

L’homme libre qui tuait l’esclave d’un autre en payait le prix au maître, comme il l’eût indemnisé de la perte de toute autre propriété. En retour, le maître avait à répondre en justice des délits commis par son esclave au préjudice des tiers, et sa responsabilité allait tout au moins jusqu’à l’abandon noxal. Si l’esclave avait commis un crime par l’ordre de son maître, c’était le maître qui était poursuivi et l’esclave était réputé innocent. Le maître avait eu, dans l’ancien droit, une juridiction illimitée sur l’esclave. Juge naturel et unique de ses fautes, il avait pu prononcer contre lui la peine de mort. La législation impériale n’enleva pas aux maîtres ce droit de justice, mais elle le restreignit, et elle leur retira la faculté de condamner à la peine capitale.

L’infériorité de l’esclave tenait surtout à ce qu’il ne pouvait jamais invoquer les lois. Cela ne surprend pas si l’on songe à la manière dont le droit civil s’était formé dans les premiers âges des sociétés. Le droit civil était né, sinon de la religion de la cité, au moins en même temps qu’elle; il était issu des mêmes conceptions de l’âme; aussi n’avait-il pu exister qu’entre citoyens. L’esprit n’avait pas même aperçu la possibilité qu’il fût appliqué à l’esclave. Donc l’esclave ne pouvait poursuivre aucune action en justice. Il ne pouvait être ni demandeur, ni défendeur, ni témoin. Même les droits de famille n’existaient pas pour lui. N’oublions pas que, dans les idées des anciens, les droits de famille faisaient partie intégrante du « droit civil » et n’avaient d’existence qu’à condition de se confondre avec lui. L’esclave, aux yeux de la loi, n’était jamais ni mari ni père. Sa compagne et les enfans de sa compagne appartenaient au maître, non à lui. N’ayant pas pu contracter « justes noces, » il ne pouvait avoir ce que la loi appelait justi liberi. De là cette conséquence qu’il ne pouvait ni hériter de son père ni transmettre à ses enfans. Il n’y avait pas pour lui de droit de propriété. L’esclave n’était jamais propriétaire ni d’un immeuble ni même d’un objet mobilier. Ce que les anciens appelaient pécule était tout autre chose que la propriété et était régi par des règles opposées. Ce pécule d’esclave appartenait virtuellement au maître, était censé venir de lui, et pouvait toujours être repris par lui. Les jurisconsultes professent « qu’il ne se peut pas que l’esclave ait des biens à soi. » Lui qui est possédé, comment posséderait-il ? Ce qu’il