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antérieurement. Cette origine de nos villages explique aussi la nature des communaux. Ils ne remontent pas, ainsi qu’on l’a supposé, à d’antiques associations de cultivateurs libres, dont on ne constate nulle part l’existence en Gaule. Ils n’ont aucun rapport avec les biens des villes, qui existaient déjà sous l’empire, et ils viennent d’une tout autre source. Les communaux de villages dérivent des domaines ; chaque communal ne fut, à l’origine, que la partie du domaine que le propriétaire laissait à la jouissance commune de ses paysans. C’est une vérité qui sera expliquée quand nous poursuivrons l’histoire des domaines à travers le moyen âge.


IV. — LA CULTURE PAR LE GROUPE D’ESCLAVES.

Il faut maintenant pénétrer dans l’intérieur du domaine et voir la population qui y habitait. Nous y trouvons d’abord les esclaves du propriétaire. Les sociétés anciennes avaient dans l’esprit une idée que nous n’avons plus, à savoir que le même droit de propriété qui s’exerçait sur la terre pouvait aussi s’exercer sur des personnes humaines. Ce principe est l’essence et le fond de la servitude antique. Les hommes n’y mettaient pas toujours une pensée d’oppression ou d’abjection ; mais ils y mettaient toujours cette pensée qu’un homme était propriétaire d’un autre homme. On disait de l’esclave que c’était une res ; n’allons pas traduire ce mot par « une chose ; » nul ne doutait que l’esclave ne fût un être humain, et la preuve de cela est qu’on lui donnait part au culte, aux prières, aux réjouissances de la famille, à son tombeau même, et qu’il avait droit au repos les jours de fête. Le mot res, dans la langue usuelle et surtout dans la langue du droit, se disait de tout ce qui était objet de propriété. En ce sens, l’esclave était une res. Cela voulait dire que, sans cesser d’être homme, il appartenait à quelqu’un. Les jurisconsultes romains le définissent « celui qui est soumis au droit de propriété d’un autre. » Tel est le principe dont nous devons partir si nous voulons comprendre exactement l’esclavage antique et toutes les institutions qui en sont dérivées.

Les mêmes règles de droit qui régissaient la propriété de la terre régissaient aussi celle de l’esclave. Comme elle, il était une propriété héréditaire : il passait du père au fils, du parent au parent. Il pouvait être légué. Il pouvait être donné en dot. Il pouvait être vendu. On peut même remarquer que, dans le droit ancien, l’esclave était res mancipi, comme la terre. La vente en était soumise aux mêmes formalités que celle d’un bien foncier. Le maître de l’esclave avait le même pouvoir sur lui que sur tout autre objet possédé : il pouvait le prêter, le louer, le céder en usufruit, le mettre en gage.