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réputé petit et qui l’est sans doute par comparaison avec beaucoup d’autres. On croirait volontiers qu’une propriété d’un millier d’arpens n’était, aux yeux de ces hommes, que de la moyenne propriété. Les domaines que décrit Sidoine Apollinaire, sans en donner la mesure, paraissent être plus grands. Le Taionnacus comprend a des prés, des vignobles, des terres en labour. » l’Octavianus renferme « des champs, des vignobles, des bois d’oliviers, une plaine, une colline. » l’Avitacus « s’étend en bois et en prairies, et ses herbages nourrissent force troupeaux. » l’écrivain ne nous dit pas quelle est l’étendue du Voroangus et du Prusianus ; mais nous remarquons dans sa description que, les deux domaines étant contigus, la distance qui sépare les deux maisons de maître est trop grande pour qu’on la parcoure à pied ; « c’est une courte promenade à cheval. » Visiblement, ces deux domaines devaient être considérables. Voyez, un peu plus tard, la villa Sparnacum, qui, dans un moment de crise, est vendue 5,000 livres pesant d’argent; voyez encore la villa Floriacus et tant d’autres qui sont mentionnées dans des chartes postérieures de très peu à l’époque romaine ; il n’est pas douteux que ce ne fussent de grands domaines.

Encore faut-il se garder de l’exagération. Se figurer d’immenses latifundia serait une grande erreur. Qu’une région ou un canton entier appartienne à un seul propriétaire, c’est ce dont on ne voit aucun exemple ni en Italie, ni en Gaule, ni en Espagne. Rien de semblable n’est signalé ni par Ammien Marcellin, ni par Symmaque, ni par Sidoine Apollinaire, ni par Salvien, ni par les chartes de Ravenne. Notre impression générale, à défaut d’affirmation sûre, est que les grands domaines de l’époque impériale ne dépassent guère l’étendue qu’occupe aujourd’hui le territoire d’un village. Beaucoup n’ont que celle de nos petits hameaux. Et au-dessous de ceux-ci il existe encore un assez bon nombre de propriétés plus petites. Il est encore une remarque qu’on peut faire. Nous savons par les écrivains du IVe siècle qu’il s’est formé à cette époque une classe de très grands propriétaires fonciers. C’est un des faits les plus importans et les mieux avérés de cette partie de l’histoire. Or, ces grandes fortunes sur lesquelles nous avons quelques renseignemens, ne se sont pas formées par l’extension à l’infini d’un même domaine. C’est par l’acquisition de nombreux domaines fort éloignés les uns des autres qu’elles se sont constituées. Les plus opulentes familles de cette époque ne possèdent pas un canton entier ou une province ; mais elles possèdent vingt, trente, cinquante domaines épars dans plusieurs provinces, quelquefois dans toutes les provinces de l’empire. Ce sont là ces patrimonia sparsa per orbem dont parle Ammien Marcellin. Telle est la nature de la fortune terrienne des Anicius, des Symmaque, des Tertullus, des Grégorius en Italie;