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Ainsi l’étendue du fundus ou du domaine variait à l’infini. Il y avait alors, comme de nos jours, de petites, de moyennes, de grandes propriétés. Si nous pénétrons encore plus avant dans nos deux inscriptions de Véléia et des Bæbiani, certains détails nous font apercevoir comment la grande propriété est en train de se former. On y remarque en effet que, si le nombre des fundi est encore très grand, celui des propriétaires l’est beaucoup moins. A Véléia, pour 300 propriétés, nous ne comptons que cinquante et un propriétaires. Le même homme en a jusqu’à dix ou douze dans les mains. Trois d’entre eux possèdent chacun pour plus d’un million de sesterces. Cela nous fait entrevoir une vérité importante. Dans l’espace de quelques générations, la plupart des petits propriétaires ont disparu; ils ont vendu ou abandonné leurs terres. Quelques-uns sont restés, s’enrichissant de la ruine des autres; encore entrevoit-on que, parmi ces cinquante et un propriétaires, il en est quelques-uns, et des plus riches, qui sont des étrangers venus depuis peu. Ils sont des spéculateurs qui ont pris la place des colons du siècle précédent. Nulle société, on le sait, ne spécula autant sur les terres que la société romaine. Mais, ce qui est bien frappant, c’est que, dans ces changemens si rapides des propriétaires, le nombre des propriétés soit resté le même. Les noms anciens sont restés ; l’étendue de chacune d’elles n’a pas varié. La surface du sol est donc encore celle d’un sol très morcelé. Il ne s’est pas encore formé, sur le territoire de ces deux villes, une seule grande propriété; il s’est seulement formé de riches propriétaires. Il n’y a pas encore de latifundia, mais il y a déjà d’assez grandes fortunes foncières.

Nous observons dans ces mêmes inscriptions que, le plus souvent, les domaines d’un même propriétaire sont situés en divers lieux; il est bien peu probable qu’ils doivent jamais se rejoindre. Il arrive pourtant plusieurs fois que les quatre ou cinq fundi d’un même homme sont contigus. En ce cas, l’inscription les groupe en une sorte de faisceau, c’est-à-dire que, tout en laissant à chacun d’eux son nom propre, elle fait pourtant de ces quatre ou cinq petits domaines un même corps et ne donne qu’un seul chiffre d’estimation pour l’ensemble. Ce petit détail est significatif. C’est le commencement et l’annonce du moment où ces quatre ou cinq petites propriétés se fondront et se perdront dans une grande. Mais comme cela est contraire aux vieux usages ruraux, ce sera une révolution qui exigera un temps fort long. Un siècle après notre inscription de Véléia, le jurisconsulte Papinien signale, comme chose assez fréquente, que plusieurs fundi soient réunis en une seule propriété. Ainsi la concentration commence à se faire. Il ajoute que chacun de ces domaines garde encore son nom particulier, mais que l’usage s’établit