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faut tout lire, et établir une proportion exacte entre les affirmations contradictoires. A côté des brillans écrivains comme Tacite et Sénèque, consultons les modestes auteurs des traités d’arpentage, Siculus Flaccus, Frontin, Hygin. Ils nous diront que le sol de l’Italie est couvert d’une population serrée de petits propriétaires, demitas possessorum.

Quelques chiffres précis nous éclaireraient mieux que ces assertions générales en sens contraire. On sait que l’empire romain possédait un cadastre fort complet de la propriété foncière. Il existait dans les archives des villes et dans les bureaux du palais impérial un nombre incalculable de plaques de bronze sur lesquelles était gravé le tableau de toutes les propriétés, avec l’étendue, le plan, les limites de chacune d’elles. Il existait aussi des registres du cens où tous les domaines étaient inscrits par leur nom, avec le nombre d’arpens, la nature du terrain, les variétés de culture, le nombre des cultivateurs qui y étaient employés. Les élémens d’une statistique sérieuse ne manquaient donc pas. Par malheur, tous ces documens ont péri et il n’en est rien venu jusqu’à nous. Pour trouver quelques chiffres, il faut les chercher à grand’peine chez les écrivains et dans trois ou quatre inscriptions.

Caton et Varron, parlant des domaines ruraux d’une manière générale, donnent des chiffres de 100, 200, 300 arpens. Cela correspond, étant donnée la mesure de l’arpent romain, à 25, 50, 75 hectares. C’est ce que nous appelons la moyenne propriété. Ni Caton ni Varron ne mentionnent de domaines plus grands. Nous ne conclurons pas de là qu’il n’en existât pas; nous dirons seulement que les propriétés moyennes étaient, de leur temps, les plus nombreuses et leur paraissaient les plus dignes d’attention[1]. Les mêmes auteurs nous donnent indirectement la mesure la plus ordinaire d’un domaine lorsqu’ils disent que le propriétaire doit y mettre de 12 à 18 esclaves pour le cultiver. Horace a reçu de Mécène un domaine, un agellus, « qui n’est pas bien grand ; » encore voyons-nous que, pour le mettre en valeur, il lui fallait un intendant, cinq métayers et huit esclaves, en tout quatorze paires de bras. Il est vrai qu’un agronome romain, Saserna, comptait qu’il fallait un esclave pour 8 arpens. Si nous nous en rapportions à ce calcul, la villa d’Horace n’aurait eu qu’une trentaine d’hectares, sans compter les bois.

Dans une inscription qui a été trouvée sur le territoire de Viterbe, et qui date du règne de Trajan, nous voyons qu’un aqueduc d’une longueur de 5,950 pas romains traversait onze propriétés. Un calcul facile montre que la longueur moyenne de chacune d’elles était

  1. Il existait sans nul doute, sur les agri publici, des terres beaucoup plus vastes; ces terres n’étaient pas des domaines, fundi, mais de simples possessions. Les terres de l’ager publicus forment un sujet à part que nous n’étudions pas ici.