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corps bien complet en soi, bien distinct de ce qui n’était pas lui, bien individuel. Nous verrons plus tard les conséquences.

Sous ce nom persistant, l’unité du fundus se maintenait à travers les générations. Le changement de fortune du propriétaire n’y changeait presque rien. S’enrichissait-il par l’acquisition du domaine voisin, son domaine ne s’étendait pas pour cela ; l’homme devenait propriétaire de deux domaines, lesquels restaient distincts. L’inscription de Véléia jette une vive lumière sur ce côté des usages ruraux. Nous y voyons plusieurs propriétaires qui ont groupé deux, quatre, jusqu’à sept fundi ; ces propriétés ne se réunissent pourtant pas en un seul domaine ; chacune d’elles conserve son nom distinct, ses limites, et pour ainsi dire sa vie propre.

Un autre cas se présente. Il peut arriver qu’un propriétaire vende une partie de sa terre. Il peut arriver aussi qu’une succession fasse échoir une terre à plusieurs cohéritiers. Que se passe-t-il alors? Le domaine sera-t-il brisé et morcelé ? Il est très vrai que le droit romain autorise ce morcellement. Le droit ne contient aucune règle qui oblige à maintenir l’unité du domaine rural. Il permet à l’acheteur d’une partie de s’y constituer, s’il veut, un domaine nouveau. Il n’oblige jamais les cohéritiers à rester dans l’indivision. Nous ne pouvons donc pas douter que le partage du domaine ancien en deux ou trois domaines nouveaux ne fût possible en droit. Mais les usages ruraux étaient assez différens du droit, et cette sorte de division paraît avoir été assez rare. Le plus souvent, le domaine gardait son nom unique et son unité, tout en appartenant à plusieurs co-propriétaires. Il se formait ainsi, non pas de nouveaux domaines, mais ce qu’on appelait des parts, portiones. Cette dénomination de « part » restait attachée à la petite propriété qui s’était formée dans la grande. On devenait à tout jamais propriétaire « d’une part ; » on léguait, on vendait, on louait « sa part. » Ces expressions, déjà visibles dans quelques inscriptions de l’époque impériale, deviennent surtout fréquentes dans les chartes du VIe et du VIIe siècle ; on les trouve à tout moment dans les actes de l’église de Ravenne aussi bien que dans les actes mérovingiens.

Ainsi se maintenait l’intégrité au moins nominale et morale du domaine. Le nouveau propriétaire possédait « une moitié, un tiers. » Le plus souvent, au moins en Italie, on comptait par douzièmes. Nous savons que cette manière de diviser les unités était familière aux Romains. Le douzième s’appelait une once, uncia. L’as, qui était l’unité de poids, le pied, qui était l’unité de mesure, se partageaient en onces. Ainsi se partageait aussi le fundus, qui était l’unité de propriété foncière. Dans les testamens, dans les ventes, dans les baux, nous voyons qu’on cédait une uncia, cinq unciœ, dix unciœ d’un fundus. Ces usages et ces expressions ne sont pas dans les