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nouveau ; les armemens furent poussés avec vigueur. Nous n’avons pas à raconter l’histoire de ces efforts, qui n’auraient peut-être pas abouti, en présence de la lassitude de l’Europe, si Louis XIV, par des fautes inexplicables, n’avait soulevé contre lui l’opinion de l’Angleterre et donné à la haine de Guillaume III les prétextes qu’elle cherchait. Nous revenons à Villars.

La situation de l’envoyé français à Vienne était devenue très difficile : le vide se faisait autour de lui ; il lui fallait beaucoup de tact pour éviter de plus sérieux désagrémens. Un jour, c’était le roi des Romains qui, à une course de têtes, lui faisait une avanie publique ; un autre jour, c’était la foule qui s’amassait devant sa porte en l’accusant d’intelligences avec les insurgés hongrois. Il suppliait le roi de mettre fin à sa mission ; mais Louis XIV tenait à le maintenir à Vienne, non-seulement pour être exactement renseigné sur les préparatifs militaires de l’empereur, mais pour retarder autant que possible la rupture et faire durer la fiction d’après laquelle, si l’Espagne était en état d’hostilité avec l’Autriche, la France était en paix avec l’empire. Un moment vint pourtant où la fiction fut dissipée par le canon. Un corps autrichien, conduit par Eugène de Savoie avec une rare vigueur, avait franchi les montagnes tyroliennes, passé l’Adige et envahi le Milanais espagnol ; il y avait rencontré des régimens français près de Carpi et les avait battus. Quoique l’affaire, en elle-même, eût été peu importante, elle avait eu un grand retentissement, elle avait montré que les Français n’étaient pas invincibles et révélait le capitaine qu’ils allaient avoir à combattre. Le prince Eugène préludait à ses victoires. Villars ne pouvait plus rester à Vienne; il reçut du roi un congé et s’empressa de revenir. Il trouva la cour de Versailles encore sous l’impression de joie et d’orgueil qu’avait produite la brillante solution de la question espagnole. Avoir contribué à l’avènement de Philippe V était le meilleur titre à la faveur ; des trois diplomates qui avaient tenu les principaux rôles, c’était à qui s’attribuerait l’honneur du dénoûment : d’Harcourt, qui en avait désespéré, de Tallard, qui l’avait combattu, et de Villars, qui l’avait ignoré. Louis XIV rétablit la gradation des mérites par celle des récompenses : il donna le duché à Harcourt, le cordon bleu à Tallard, et de bonnes paroles à Villars. Villars fut encore plus étonné que mécontent de son lot : « j’ai battu les buissons, écrivait-il familièrement à Chamillart, et ce sont mes camarades qui ont pris les oiseaux. » La guerre, que ses démarches n’avaient pas réussi à écarter, allait lui offrir l’occasion de remporter les succès et de mériter les honneurs refusés à sa diplomatie.


VOGÜÉ.