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relatant une démarche identique de Torcy et de la correspondance d’Espagne; celle-ci, à côté des informations dont on a pu apprécier l’exactitude, renfermait pourtant des avertissemens significatifs. Harrach constatait avec inquiétude qu’on l’avait écarté du palais, alors que le testament se rédigeait, que l’opinion publique croyait cet acte en faveur d’un prince français, qu’un revirement vers la France s’opérait non-seulement au sein du conseil, mais jusque dans l’entourage du roi : Confessarius etiam regis inciperet gallicare.

A l’appui de ces informations inquiétantes, Kaunitz donna lecture d’un mémoire écrit où la situation était analysée avec une netteté remarquable et une perspicacité prophétique. Il posait comme un fait acquis que le testament était en faveur d’un prince français : cela ressortait pour lui de tous les renseignemens, même des dépêches d’Harrach ; il insistait sur la gravité de ce fait. Charles II avait autant que Philippe IV le droit de tester ; après avoir soutenu la validité du testament da père, on pourrait difficilement contester celle du testament du fils ; toute l’Espagne l’accepterait, les vice-rois n’hésiteraient pas à le faire exécuter, l’Europe le reconnaîtrait. Si donc l’empereur persistait dans ses premières résolutions, c’était la guerre certaine, inévitable, déclarée dans de mauvaises conditions, sans alliés, sans armée, avec l’appui douteux des princes allemands, contre un ennemi redoutable et prêt.

L’opinion de Kaunitz était donc qu’il fallait traiter et traiter sans délai. Si le roi d’Espagne venait à mourir, il serait trop tard ; on serait alors trop heureux d’obtenir les conditions du traité de partage actuel ; aujourd’hui on pouvait encore les améliorer et il fallait s’y appliquer sans relâche. Il conseillait d’ailleurs d’armer activement afin de soutenir les négociations.

Cet avis si sage ne prévalut point contre l’inertie fataliste de l’empereur; le 25, après une discussion de cinq heures, on se décida à ne rien dire à Villars et à laisser les portes ouvertes à une négociation indéterminée : Respondendum Villars non esse adhuc rationem mutandi responsum antea. — Die porten tractandi offen zu lassen.

Les interrogations inquiètes et pressantes de Villars n’obtinrent de Kaunitz, d’Harrach, que des réponses vagues ou plaisantes : enfin, on lui remit le 5 novembre, une note dans laquelle il était dit que l’empereur persistait à considérer comme indécent et injuste de convenir de la succession d’un roi vivant, et qu’il était confirmé dans cette opinion par la confiance qu’il avait dans le prochain rétablissement de la santé du roi d’Espagne. C’est par une fin de non-recevoir aussi peu sérieuse et d’un goût, il faut bien le dire, si contestable, que la cour de Vienne répondait au suprême et éloquent