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fut non-seulement en son nom, mais au nom du conseil de Castille tout entier et au nom des grands de sa cour, que Charles II put supplier Léopold de ne pas signer un traité attentatoire à l’honneur de sa couronne et aux droits de la maison d’Autriche. Il paraît probable qu’à ce message ostensible le roi d’Espagne en joignit un autre confidentiel, par lequel il promettait de faire un testament en faveur de l’archiduc.

Cette communication dissipa les dernières hésitations de l’empereur. Le 18 août, il faisait remettre à Villars, par Harrach, une note dans laquelle il déclarait qu’il aurait cru manquer à toutes les bienséances en s’occupant de la succession d’un roi vivant et en état d’avoir des enfans. Il refusait donc de souscrire au traité, et, tout en protestant de ses bons sentimens pour la France, il se disait disposé à empêcher, même par les armes, la prise de possession de l’Espagne par le troisième souverain dont on l’avait menacé.

En même temps, Léopold chargeait son ambassadeur à Madrid d’exprimer au roi d’Espagne la joie que lui causait son intention de conserver toute la monarchie pro domo nostra Austriaca ; il le chargeait, en outre, de remercier chaleureusement la reine de son active et puissante intervention, d’exposer au conseil et aux grands que, la France étant engagée dans le traité de partage, l’Autriche seule était en mesure de conserver l’intégrité de la monarchie et qu’elle était prête à la défendre; il annonçait, en conséquence, l’envoi de renforts au corps allemand de Catalogne, la mise sur pied de 30,000 hommes destinés aux Pays-Bas, et sollicitait des ordres aux vice-rois des provinces italiennes pour qu’ils eussent à se mettre en état de défense et à s’entendre avec la cour de Vienne sur les mesures militaires à prendre.

Villars reçut la communication du 18 août avec un dépit qu’il eut de la peine à dissimuler. Il voyait s’écrouler l’échafaudage de ses espérances et de ses ambitions. Pour cacher sa déception, il sollicita du roi un congé, qui lui fut refusé. Louis XIV avait encore besoin de sa présence à Vienne, car il avait à conformer son attitude à la situation nouvelle et périlleuse créée par le refus de l’empereur. Lui aussi voyait s’écrouler le fragile édifice de ses combinaisons ; il avait tout sacrifié au repos de l’Europe : son orgueil de souverain, ses habitudes de conquérant, ses intérêts de chef de dynastie; il avait fait des avances à son plus mortel ennemi, subi le marchandage des négocians d’Amsterdam, accepté, pour la première fois, le second rôle dans une négociation importante, le tout dans l’intérêt de la paix, et il voyait le fantôme de la guerre se dresser devant lui. Il s’était trompé sur les sentimens de Léopold ; il avait cru à sa modération et à sa perspicacité ; il avait compté sans cette obstination douce et fataliste, qui s’allie si bien à l’irrésolution