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de l’affaire, il reconnut le bien fondé et la modération des demandes françaises et écrivit à Harrach une lettre pressante pour l’engager à ne pas s’arrêter à une insignifiante question d’étiquette. Il obtenait en même temps du roi que le délai assigné au retour de Villars fût retardé. Villars fixa définitivement son départ au 30 avril et en informa Harrach. Les pourparlers reprirent, les conférences se succédèrent: le nonce, les ambassadeurs de Venise et de Savoie s’entremirent, sans que la question avançât d’un pas, et le 30 avril arriva sans que rien eût été réglé. L’émotion était grande dans la ville : l’éventualité d’une rupture avec la France, pour un motif aussi futile, préoccupait vivement les esprits. Sous la pression des circonstances, la cour découvrit un expédient qui sauvegardait les principes sacrés de l’étiquette : par le plus grand des hasards, la sœur du prince Liechtenstein, la comtesse Trautmannsdorf, habitait la même maison que Villars et était malade. La maladie d’un proche parent était un de ces cas exceptionnels qui légitimaient une dérogation à la règle et permettaient à un ajo de sortir sans son archiduc. L’empereur autorisa donc Liechtenstein à aller voir sa sœur; pour s’y rendre, il était obligé de passer devant l’appartement de Villars : si, au moment où il passerait, Villars se trouvait par hasard sur sa porte, il n’était pas interdit au ajo de s’arrêter un instant et de causer avec lui. On fit donc demander à Villars, par l’ambassadeur de Savoie, s’il ne consentirait pas à se trouver sur sa porte, à une heure déterminée, et à y recevoir les excuses de Liechtenstein. La nuance était bien faible, en apparence; mais Villars eut l’intuition de l’équivoque qu’elle recouvrait et refusa. Il ne se dissimula pas la responsabilité qu’il encourait en risquant une rupture pour ne pas accepter une aussi légère modification aux instructions royales : « j’ose dire, écrivait-il au roi le lendemain, que j’ai donné, en cette circonstance, une preuve certaine que ma fortune m’est indifférente quand il s’agit de la gloire et de la délicatesse de Votre Majesté. »

Villars refusa donc et commanda les chevaux de poste pour le soir même. A trois heures, sa calèche était devant la porte, les chevaux attelés, au milieu d’un grand concours de peuple : Villars se préparait à partir quand l’ambassadeur de Savoie accourut de nouveau et lui demanda d’attendre encore qu’il eût le temps d’aller faire un dernier effort au palais : deux heures après, il revenait annonçant que la satisfaction était accordée sans réserve. Il était bientôt suivi du ajo, qui se présentait chez Villars, était reçu par lui sur sa porte, entrait dans l’appartement et s’arrêtant dans le salon, où se trouvait le portrait du roi, débitait la formule d’excuses très mitigée qui avait été préalablement convenue. La nuit était arrivée, les domestiques avaient allumé des flambeaux pour éclairer