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mésalliance. Son intervention ne facilitait pas les rapports de l’archiduc avec le corps diplomatique : la plupart des envoyés étrangers n’avaient pu lui être présentés, parce qu’il exigeait d’eux certaines formes de respect qui n’étaient dues qu’aux souverains. Villars avait reçu de Louis XIV l’ordre formel de ne prendre d’audience que lorsque ces prétentions seraient abandonnées.

Le premier personnage de la cour était le grand-maître, prince Dietrichstein ; mais son âge avancé le rendait impropre aux affaires et la véritable autorité était exercée par le comte Ulrich Kinsky, chancelier de Bohême, vice-chancelier de l’empire : homme instruit, appliqué, désintéressé, qui avait succédé à Strattmann, sans avoir ni la netteté, ni la souplesse de son esprit. Défiant, ayant le goût des voies détournées, il excellait dans l’art de créer des difficultés et de compliquer les questions les plus simples. Il penchait vers une entente avec la France : ses rapports avec Villars devaient, d’ailleurs, être très courts, car il mourait au printemps de 1699, de chagrin de n’avoir pas été nommé grand-maître de la cour à la mort de Dietrichstein. L’empereur lui préféra Harrach, pour lequel il avait une véritable amitié, et qui lui plaisait autant par ses défauts que par ses qualités. Intelligent, sûr et de bon conseil, Ferdinand-Bonaventure, comte d’Harrach était, comme l’empereur, d’un caractère doux et indécis qui ne froissait pas l’irrésolution impériale : d’une piété sincère, il comptait, comme son maître, sur la protection spéciale de la Providence, et croyait au « miracle » attendu. Ambassadeur en Espagne, s’il n’avait pas utilement servi les intérêts de l’Autriche, il l’avait représentée avec dignité et avait de très bonne foi entretenu les illusions de l’empereur. Par la confiance du souverain, par sa situation personnelle, il tenait incontestablement la première place, mais il n’avait ni l’ambition, ni l’ardeur au travail qui assurent le premier rôle.

Le personnage le plus actif de tout le conseil était Dominique-André, comte Kaunitz : nous l’avons déjà rencontré à Munich, ainsi que sa femme, la belle Éléonore de Sternberg; nous avons pu juger des ressources de son esprit, de son activité, de son habileté à profiter des circonstances sans préjugés, pour ne pas dire sans scrupules. Villars n’avait pas oublié ses luttes avec lui, mais il en avait gardé un bon souvenir : il croyait être cause de son départ de Munich et de la rupture de Max-Emmanuel avec la comtesse de Kaunitz : il lui savait gré de cette apparente défaite ; il reconnaissait, d’ailleurs, ses talens et son influence croissante. « Depuis la mort de Kinsky, écrivait-il au roi, le 30 septembre 1699, qui gouvernait absolument et, pour dire la vérité, avec plus d’étendue d’esprit, d’élévation et de génie que tout ce qui approche présentement