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avec son personnel et son matériel et le descendirent à Vienne au fil de l’eau. Il arriva dans la capitale de l’Autriche dans les premiers jours d’août.

Chemin faisant, il avait fait quelques visites utiles à ses relations ou à ses informations. A Nancy, il s’était arrêté chez le duc de Lorraine, qu’il avait trouvé tout entier à la joie d’être rentré dans ses états, de chasser dans ses forêts, de jouer au ballon dans ses jardins, « ne donnant qu’une médiocre attention aux dames et réservant sa tendresse pour Mlle de Chartres, » qu’il était sur le point d’épouser et dont le portrait ne le quittait pas. En passant à Pfortzheim, Villars avait poussé jusqu’à Wildbad pour y voir le prince de Bade qui boudait la cour impériale, se plaignait de l’inaction où le laissait la conclusion de la paix et lui donna de curieux renseignemens sur la cour de Vienne et les secrètes rivalités de ses hommes d’état. A Stuttgart, il avait été reçu avec de grands honneurs par la duchesse douairière de Wurtemberg; à Ulm, « Messieurs de la ville » lui avaient fait un compliment auquel il avait été très sensible.

A Vienne, une première déception l’attendait : l’accueil qu’il reçut ne répondait ni à ses souvenirs, ni à son attente. La cour fut polie, courtoise, mais réservée ; elle ne voyait plus en lui le brillant volontaire qui venait jouer sa vie à son service et chargeait si galamment les Turcs à la tête des escadrons autrichiens ; il n’était plus pour elle que l’envoyé du rude adversaire qui, depuis dix ans, avait si malmené ses armées et auquel elle se préparait à disputer par tous les moyens, même les armes à la main, l’héritage espagnol. Villars fut très mortifié de cette réception inattendue : mais il eut le bon goût de ne pas laisser voir son dépit, il désarma la froideur par sa bonne humeur, sa rondeur cavalière, attira les gens chez lui en tenant table ouverte, et réussit au moins à se créer personnellement des relations suffisantes : il était de toutes les fêtes et les décrivit longuement dans ses dépêches, auxquelles la matière politique manquait un peu. Personne ne lui parlait d’affaires, et c’est ce qui le mortifiait le plus : il avait essayé d’aborder le terrain politique en offrant les bons offices du roi dans les laborieuses négociations que la cour poursuivait avec le Turc. Kinsky avait poliment, mais péremptoirement décliné son intervention. Cependant les mois se passaient et aucune bouche autorisée ne s’ouvrait pour lui faire les communications sur lesquelles reposait tout l’échafaudage de ses combinaisons et de ses ambitions diplomatiques. Une fois seulement, Schwarzenberg, le grand maître de la cour de l’impératrice, vint secrètement l’entretenir de la succession d’Espagne et insister auprès de lui sur la nécessité d’une transaction. Schwarzenberg avait une certaine inclination pour la France, à laquelle sa