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au besoin comme modèle le traité secret de 1668, mais en référer au roi et ne rien faire sans de nouveaux ordres.

Les instructions s’étendaient ensuite longuement sur les affaires intérieures de l’Allemagne, non pour inviter Villars à y intervenir, mais pour lui dicter un langage pacifique ; il ne devait pas parler de la force du roi, « qui est assez connue, » mais de la a modération, » dont il a donné tant de preuves et ne pas oublier que, « désormais, le roi n’a rien à démêler avec l’empire. » Tant il est vrai que, dans la pensée de Louis XIV, le traité de Ryswik avait définitivement fixé les limites orientales de la France et supprimé toute cause de conflit ultérieur.

Quant aux négociations pendantes avec Guillaume III, les instructions les passaient absolument sous silence. Louis XIV, désirant les cacher à la cour d’Autriche, avait cru plus prudent de les laisser ignorer à son ambassadeur ; il ne voulait mettre à l’épreuve ni sa discrétion, ni sa conscience.

Ces instructions furent remises à Villars, le 15 juin 1698. Il les reçut avec une joie peu dissimulée; prompt aux illusions, il se persuada que le premier rôle lui était réservé et qu’il était destiné à régler, par un traité avec l’empereur, la question qui préoccupait si sérieusement tous les esprits : cette perspective souriait à son ambition ; il se croyait assez habile et se savait assez heureux pour l’envisager avec confiance.

Vers la fin du mois, il se mit en route. Le voyage d’un diplomate de Paris à Vienne était alors long et compliqué ; il fallait cheminer à petites journées sur des routes en mauvais état, traînant derrière soi un lourd convoi. Villars n’avait pas le rang d’ambassadeur (une délicate question de préséance avec l’ambassadeur d’Espagne, que le roi ne voulait pas soulever, lui avait fait donner la qualité d’envoyé extraordinaire) ; néanmoins, les circonstances imposaient à l’envoyé du roi un équipage peu différent de celui d’un ambassadeur ; trois carrosses à huit chevaux pour lui, ses six pages et ses quatre gentilshommes défilèrent sur la route royale de Strasbourg, suivis de quatre chariots pour les domestiques, de six charrettes pour les bagages, les meubles, la vaisselle : près de cent chevaux tiraient ces lourdes machines. Villars, toujours avisé pour ses intérêts particuliers, les avait fait acheter à vil prix sur les marchés de l’est encombrés par la réforme des régimens de cavalerie ; rendus à Paris, ils lui revenaient à trente et quelques livres par tête. En arrivant à Ulm, après vingt jours de route, il vendit les chevaux 150 livres pièce et s’embarqua sur le Danube. L’opération, qu’il eut la singulière franchise de conter au roi, couvrit toutes les dépenses du voyage : trois grands chalands préparés d’avance le reçurent