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passions religieuses et les partis parlementaires. Pour agir sur lui il fallait non-seulement calmer ses défiances et satisfaire ses intérêts, mais il importait de ne pas se mettre à sa merci : il fallait se montrer prêt à se passer de son concours, s’il le refusait; c’est-à-dire prendre à Madrid et à Vienne une position telle qu’il pût craindre ou que le roi traitât avec l’Autriche, ou qu’il imposât à l’Espagne des résolutions favorables à sa cause. Les négociations avec Guillaume devaient en outre être tenues absolument secrètes ; connues à Vienne ou à Madrid, elles pouvaient y provoquer des mesures dangereuses pour le succès même de l’entente commune.

En un mot, la diplomatie française devait, à la fois, à La Haye et à Londres, désintéresser et convaincre; à Madrid, effrayer et séduire ; à Vienne, provoquer des propositions sans en faire, et se préparer à faire accepter les résolutions qui auraient été convenues ailleurs.

Pour cette triple mission, il fallait des hommes bien choisis : Louis XIV s’appliqua à les distinguer, et son choix tomba non sur trois diplomates de profession, mais sur trois généraux de ses armées : Tallard, Harcourt et Villars.

Les deux premiers furent expédiés à leurs postes respectifs, l’un à la fin de l’année 1697, l’autre au commencement de 1698. Les instructions qui leur furent remises sont de véritables chefs-d’œuvre et nous font toucher du doigt la singulière valeur de l’admirable instrument que Louis XIV s’était façonné dans le personnel du ministère des affaires étrangères. Dans ces remarquables morceaux on ne sait ce qu’on doit le plus admirer, ou de la profonde connaissance des cours étrangères, ou de la netteté des vues politiques, ou de l’exquise habileté du langage. Tallard et Harcourt avaient les qualités nécessaires pour répondre aux intentions du roi. Ils se ressemblaient par plus d’un côté : tous deux avaient de la finesse, de l’application, du tact, et par-dessus tout l’art de plaire ; tous deux avaient l’indépendance d’esprit et de langage nécessaire pour dire la vérité au roi et lui donner de courageux conseils. Au bout de très peu de temps, Tallard avait déjà obtenu des résultats considérables : il s’était complètement identifié avec son rôle et avait attaché son honneur à la conclusion d’un traité. Pour mettre d’accord les deux souverains, il lui fallait non-seulement vaincre les résistances et les défiances de Guillaume, mais amener Louis XIV à des concessions qui dépassaient de beaucoup ses intentions premières. Le plan de Louis XIV était de faire reconnaître le dauphin comme seul héritier du roi d’Espagne, sauf à désintéresser les tiers dans une mesure qu’il espérait aussi restreinte que possible : Guillaume avait rejeté bien loin une combinaison qui donnait à la France une