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maines, l’Angleterre et son gouvernement restent toujours en face de deux questions des plus sérieuses, l’une intérieure, l’autre extérieure. L’autre jour, au banquet de Mansion-House, lord Salisbury s’est plu à dire, d’un ton un peu leste peut-être et passablement humoristique, que le parlement irlandais était enterré, que la sentence était « définitive et irrévocable. » Le home-rule, tel que l’avait proposé M. Gladstone, peut être pour le moment hors de combat, l’état de l’Irlande ne reste pas moins singulièrement grave. En réalité, la guerre civile est pour ainsi dire en permanence à Belfast, entre orangistes et nationalistes irlandais. Tous les jours et à tout propos se renouvellent les collisions violentes, souvent sanglantes, où il y a des morts et des blessés, où la police a ses victimes comme la population. Une des plus grandes villes de l’Irlande est devenue un théâtre de luttes intestines et de scènes de meurtre ou de dévastation. Le nouveau chancelier de l’échiquier, lord Randolph Churchill, allait il y a quelques mois, il y a quelques semaines, pendant la crise électorale, enflammer par ses discours les passions protestantes à Belfast ; il recueille aujourd’hui comme ministre le fruit de ses prédications, de ses excitations ardentes, et le cabinet dont il est un des chefs est obligé de chercher comment il pourra apaiser cette incandescence furieuse. Ce n’est là encore qu’un des côtés de ce douloureux problème irlandais qui chaque jour semble changer de face et s’envenimer sans cesse. Depuis quelque temps, la situation agraire s’est tellement aggravée que de nouveaux troubles sont presque inévitables. Dans les comtés de Galway, de Donegal, de Kerry, les paysans irlandais se déclarent hors d’état de payer leurs redevances, même au taux réduit fixé par le dernier bill agraire de 1881. On veut les expulser par voie de justice ou par la force, et les expulsions deviennent l’occasion de véritables batailles entre la force armée et la population. La police est réduite à faire le siège des maisons pour en chasser les fermiers insolvables qui opposent une défense désespérée, et elle est tous les jours occupée à garder les routes que les fugitifs exaspérés détruisent sur leur passage. De grands propriétaires comme lord Clanricarde, lord Kenmare, sont obligés de se faire protéger dans leurs domaines par des forces de police que le gouvernement leur envoie. D’un autre côté, les conseils municipaux, les bureaux de bienfaisance mettent une sorte d’ostentation à offrir l’hospitalité, comme un asile d’honneur, aux familles des paysans expulsés qui arrivent en procession, accompagnés d’une multitude irritée, prête à toutes les violences. C’est l’agitation de la misère qui recommence et qui peut certainement créer au gouvernement les plus graves difficultés en compliquant et en envenimant cette malheureuse question irlandaise.

Le danger pour le ministère n’est pas dans l’opposition parlemen-