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vernement et publiaient des manifestes. C’était une revanche évidente pour la Russie dont les conspirateurs se hâtaient de réclamer la protection, en invoquant le nom du tsar, le grand libérateur de la Bulgarie. Que la Russie n’ait pas coopéré directement à l’entreprise révolutionnaire du 21 août, c’est bien possible ; elle a pu croire y trouver, dans tous les cas, l’avantage d’une victoire pour sa prépondérance dans les Balkans, sans être obligée d’intervenir ; et c’est bien ainsi que l’ont compris les journaux interprètes de la pensée du cabinet de Saint-Pétersbourg, surtout tant qu’ils ont pu croire au succès de la révolution nocturne de Sofia. Malheureusement ce succès n’a pas été de longue durée, et c’est ici que l’imbroglio se complique, que les péripéties se succèdent. La victoire de M. Zankof et de ses complices n’aura été que d’un moment. À peine la révolution du 21 a-t-elle été connue des provinces, elle a soulevé les protestations les plus vives dans la population comme dans l’armée. Le président de l’assemblée nationale bulgare, M. Stamboulof, a protesté et a constitué à Tirnova un gouvernement provisoire. Le colonel Moutkarof, qui commande à Philippopoli, a refusé son adhésion au gouvernement révolutionnaire et s’est mis en marche sur Sofia à la tête de forces assez considérables. Les villes principales, les garnisons ont suivi le mouvement. En quelques jours, en quelques heures, tout a changé de face. M. Zankof, après avoir fait arrêter les anciens ministres, a été arrêté à son tour, et M. Karavelof, revenant au pouvoir, a formé une régence. Tout cela est assez confus sans doute ; mais de toutes parts, sous toutes les formes, s’est manifesté le même sentiment de fidélité au jeune souverain si bizarrement enlevé. On a demandé le retour du prince, qui était déjà à Lemberg, où il a été reçu avec des ovations populaires. La tragi-comédie avait commencé par la déposition de surprise du 21 ; elle a continué par le rappel spontané du prince Alexandre. Il reste maintenant à savoir comment elle se dénouera définitivement, quelles seront les résolutions des puissances qui depuis un an ont eu déjà si souvent à s’occuper de la Bulgarie.

Tout dépend évidemment de ce qui aura été décidé à Gastein, et encore plus à Franzensbad, entre l’Allemagne, l’Autriche et la Russie. Rien sans doute n’est plus simple, en apparence, que ce retour d’un prince victime d’un attentat subreptice et rappelé spontanément par son peuple ; on pourrait même ajouter que des puissances monarchiques seraient intéressées à favoriser, à encourager ce loyalisme d’une jeune nation redemandant son souverain. Au fond, on n’en peut disconvenir, la situation reste malheureusement plus compliquée qu’elle ne le paraît au premier abord, et, quel que soit le dénoûment, il y a encore bien des nuages à cet horizon de l’Orient, si souvent troublé et obscur. Si le prince Alexandre va reprendre sa couronne, — et il paraît avoir pris ce parti, — il sera sûrement reçu en triomphateur à Sofia ; les ovations ne lui man-