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et s’échauffe. Nous nous disons: «A qui en a-t-il? où veut-il en venir? quelles sont ses fins secrètes? à quoi doit lui servir son exaltation ? »

Il est encore en Europe des peuples qui ont une foi et des dogmes politiques. Le dévoûment à la monarchie a conservé dans plus d’un pays le caractère d’une religion. Pour être un vrai royaliste, il n’est pas nécessaire de croire que le roi possède le don des miracles et qu’il guérit les écrouelles; mais il faut reconnaître en lui l’oint du Seigneur, il faut admettre qu’il y a quelque chose de divin dans son affaire et de sacré dans sa personne, qu’il a été choisi de Dieu pour gouverner l’état, qu’il est le propriétaire de son royaume au même titre qu’un particulier possède la maison et le champ qu’il a hérités de son père, et que toute entreprise contre sa couronne est un attentat contre la Providence et contre les principes primordiaux de la société. Il faut ressentir pour l’institution un tel respect que les défauts ou les vices des souverains ne portent aucune atteinte à son crédit, à son honneur, à sa majesté. Un pape fût-il un grand pécheur, les vrais catholiques vénèrent dans ce chef indigne de l’église l’élu du Saint-Esprit; quelles que soient les faiblesses d’un monarque, les vrais monarchistes respectent en lui la monarchie, et ils oublient l’homme pour ne voir que le principe.

Au commencement de ce siècle, il y avait encore chez, nous des royalistes de cette trempe, et ils auraient cru commettre un crime de lèse-majesté en reconnaissant que le fléau des révolutions avait été attiré sur la France par les dilapidations ou les erreurs de ses souverains. Les plus audacieux, comme l’a raconté M. de Vitrolles, convenaient en 1814 que Louis XVI avait eu grand tort de réformer quelques centaines de chevaux de la maison du roi, que c’était sa seule faute, et quand Louis XVIII, dès son avènement, eut rétabli les gardes du corps, les compagnies rouges, les mousquetaires gris et noirs, les grenadiers à cheval, les gardes de la porte et les gardes de la prévôté de l’hôtel, ils déclarèrent que tout était sauvé, que le trône, remis d’aplomb, était désormais à l’abri des secousses et des tempêtes. A peine achevaient-ils leur phrase, un courrier haletant d’émotion vint leur annoncer que l’exilé de l’île d’Elbe avait débarqué au golfe Juan, et ce coup de tonnerre les réveilla.

Les vrais royalistes confondent l’intérêt du prince avec l’intérêt général, sa grandeur avec celle du pays; ses douleurs sont des tristesses publiques, ses joies sont les fêtes de l’état. Les malheurs de Frédéric-Guillaume III ne le firent point déchoir dans l’estime de ses peuples. Ils ne songèrent pas à lui reprocher ses fatales irrésolutions, qui avaient perdu la Prusse; les cœurs lui demeurèrent fidèles, on se sentait solidaire de ses destinées et de moitié dans ses disgrâces. Aujourd’hui,