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LE
SCEPTICISME POLITIQUE

On a souvent peint l’état des esprits et de l’opinion dans les premières années du Directoire. Après de violentes agitations, après des troubles aigus et des transports furieux, la France cherchait à se rasseoir et la vie d’habitude reprenait ses droits. On avait longtemps vécu au jour le jour, à la merci des aventures ; on éprouvait un pressant désir d’assurer son lendemain. Soldats devenus généraux en deux ans, gens d’affaires subitement enrichis par les spéculations, l’agiotage, les fournitures et les rapines, tous les parvenus de la révolution songeaient à mettre leur gloire ou leur fortune à l’abri des accidens. Le désordre leur avait fourni des occasions, mais ils sentaient que le désordre n’a qu’un temps et qu’un gouvernement régulier pouvait seul donner des garanties à leur bonheur.

Les partis n’avaient pas désarmé, plus d’un cœur nourrissait des rancunes implacables. Les ennemis déclarés de la révolution auraient cru se déshonorer en pactisant avec elle et s’obstinaient à maudire ses injustices, à lui reprocher le sang, la tache rouge, qu’elle avait aux mains. Les jacobins impénitens conservaient pieusement le culte de leur idole et quelques-uns s’accusaient de lui avoir marchandé les victimes. Il y avait encore des fanatiques, mais en petit nombre; on pouvait les compter et les nommer. De part et d’autre, les gens de bon sens étaient disposés aux transactions. On s’était calmé, on était devenu