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être tirée sur lui d’un instant à l’autre dans l’éternelle mêlée ; toutefois, si les risques auxquels on a échappé ne garantissent point l’avenir, les insuccès passés ne sont point non plus une preuve d’insuccès éternel.

L’objection la plus grave peut-être à l’espérance, — objection qui n’a pas été assez mise en lumière jusqu’ici et que M. Renan lui-même n’a pas soulevée dans les rêves trop optimistes de ses Dialogues, — c’est l’éternité a parte post, c’est le demi-avortement de l’effort universel qui n’a pu aboutir encore qu’à ce monde. Néanmoins, s’il y a là une raison pour restreindre notre confiance dans l’avenir de l’univers, ce n’est pas un motif de désespérer. Des deux infinis de durée que nous avons derrière nous et devant nous, un seul s’est écoulé stérile, du moins en partie. Même en supposant l’avortement complet de l’œuvre humaine et de l’œuvre que poursuivent sans doute avec nous une infinité de frères extraterrestres, il restera toujours mathématiquement à l’univers au moins une chance sur deux de réussir : c’est assez pour que le pessimisme ne puisse jamais triompher dans l’esprit humain. Si les coups de dé qui, selon Platon, se jouent dans l’univers, n’ont produit encore que des mondes mortels, des civilisations bientôt fléchissantes, des individualités toujours fragiles, le calcul des probabilités démontre qu’on ne peut, même après une infinité de coups, prévoir le résultat du coup qui se joue en ce moment ou se jouera demain. L’avenir n’est pas entièrement déterminé par le passé connu de nous. L’avenir et le passé sont dans un rapport de réciprocité, et on ne peut connaître l’un absolument sans l’autre, ni conséquemment deviner l’un par l’autre.

Supposez une fleur épanouie à un point quelconque de l’espace infini, une fleur sacrée, celle de la pensée. Depuis l’éternité, des mains cherchent en tous sens dans l’espace obscur à saisir la fleur divine. Quelques-unes y ont touché par hasard, puis se sont égarées de nouveau, perdues dans la nuit. La fleur divine sera-t-elle jamais cueillie ? Pourquoi non ? Toute négation ici n’est qu’une prévention née du découragement ; ce n’est pas l’expression d’une probabilité. Supposez encore un rayon franchissant l’espace en ligne droite sans y être réfléchi par aucun atome solide, aucune molécule d’air, et des yeux qui, dans l’éternelle obscurité, cherchent ce rayon sans pouvoir être avertis de son passage, tâchent de le découvrir au point précis où il perce l’espace. Le rayon va, s’enfonce dans l’infini, ne rencontre toujours rien, et cependant des yeux ouverts, une infinité d’yeux ardens le désirent et croient parfois sentir le frissonnement lumineux qui se propage autour de lui et accompagne sa percée victorieuse. Cette recherche sera-t-elle éternellement vaine ? S’il n’y a