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Barras. Les instructions du roi, transmises par Saint-Priest, allèrent le trouver à Brunswick[1]. Dans l’état d’esprit où il était, elles achevaient de faire de lui un des agens les plus actifs et les plus convaincus de cette intrigue. C’est sous cette forme que, jusqu’au 18 brumaire, il s’appliquera à réaliser les intentions du cabinet britannique et les espérances que Louis XVIII fonde sur son concours. Il s’épuisera en courses vaines, tour à tour en Suisse et en Allemagne, à Uberlingen, à Rastadt, à Augsbourg, à Francfort, se concertant avec les agens anglais, qui se jouent de lui, caressant des plans chimériques, se débattant au milieu des brouilleries, des divisions, des rivalités de l’agence de Souabe, dupe de ses illusions, découragé, désorienté, déclarant un jour qu’en invitant les officiers des armées républicaines à la trahison, a il ne faut point leur parler du roi pour ne pas les effaroucher; » plaidant un autre jour auprès de Wickham la nécessité de proclamer Louis XVIII; justifiant, en un mot, cette parole de Saint-Priest : « Il ne semble pas fait pour soutenir l’idée d’un grand caractère. »

C’était là le fruit du coupable oubli de ses devoirs. Les événemens ultérieurs devaient mettre le comble à sa folie, consommer sur son intelligence l’œuvre de démoralisation et le jeter dans la conspiration de George, où sa brillante carrière devait aboutir au plus sinistre, au plus douloureux dénoûment.


III.

A la fin de décembre 1798, l’Angleterre, représentée par lord Withworth, son ambassadeur à Saint-Pétersbourg, avait vu couronner ses longs efforts pour rallier Paul Ier à ses vues et signé avec lui un traité d’alliance contre la France. Par ce traité, la Russie qui, pour la première fois, depuis le commencement des guerres de la révolution, entrait en ligne, s’engageait à fournir aux alliés une armée de quarante-cinq mille hommes, moyennant un subside de 1,875,000 livres sterling, que les Anglais s’obligeaient à lui verser. Au mois d’avril suivant, ces conventions étaient ratifiées. L’Autriche, qui n’en attendait que la conclusion pour se prononcer, entrait à son tour dans l’alliance. La Turquie, le royaume des Deux-Siciles, le grand-duc de Toscane, le roi de Piémont, y prenaient place, et la seconde coalition se trouvait définitivement constituée.

Paul Ier y avait, après de longues hésitations, adhéré avec enthousiasme.

  1. Au mois de juin, un agent du Directoire écrit d’Altona à Paris : « Pichegru est toujours chez le duc de Brunswick avec Alopéus, ministre de Russie. Il y est en grande faveur. » Il était revenu de Suisse le mois précédent.