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vite que nous désirions le faire en union avec l’Angleterre, et cela non pour conquérir la France, mais pour établir un gouvernement raisonnable. »

Si le prince disait toute sa pensée, et la lecture de sa correspondance permet de le supposer, il y avait de sa part quelque naïveté à se figurer que de tels projets pourraient s’accomplir sans que le Danemark sortît de sa neutralité, et que l’armée française, si le territoire était envahi, ferait quelque différence entre le corps de neutres et le corps de belligérans qui l’envahiraient. Dumouriez, sur ce point, ne se leurrait pas d’illusions. Aussi pensait-il que le Danemark devait entrer dans la coalition au même titre que les autres alliés, pourvu que l’invasion n’eût pas pour but la conquête.

Il lui avait été, d’ailleurs, facile de comprendre que les offres danoises n’étaient pas désintéressées. Pour prix de ses services, le Danemark entendait obtenir de l’Angleterre un subside de 800,000 livres sterling, avec la promesse qu’à la conclusion de la paix on lui céderait l’île de Porto-Rico et Crab-Island, sous les deux garanties de l’empereur de Russie et du roi de France ; la dernière ne devait être donnée qu’après le rétablissement de ce prince sur son trône. À ces conditions, le Danemark fournirait à l’Angleterre 12 vaisseaux de ligne et 18,000 hommes, dont 3,000 cavaliers.

Après qu’on eut longuement délibéré, le prince de Hesse crut devoir, au mois d’octobre, envoyer à Londres le plan sorti de ces délibérations. Il le fit en son nom personnel, pour ne pas compromettre son gouvernement. Ne pouvant, en tant que puissance secondaire, prendre l’initiative d’une proposition, le Danemark en était réduit à suggérer qu’on la lui fît quand les conditions seraient suffisamment débattues pour qu’il n’eût plus qu’à y donner son adhésion[1].

Le ministère anglais jugea qu’il y avait lieu de tirer parti de ces ouvertures qui répondaient si bien à son désir de recommencer la

  1. Plus tard, quand le plan parut abandonné, quelques indiscrétions le révélèrent, et le gouvernement danois s’en étant plaint au prince de Hesse, ce dernier se défendit de l’avoir conçu autrement que comme une idée toute personnelle, et surtout d’en avoir parlé : « Maintenant, à l’heure qu’il est, écrivait-il le 19 novembre 1799, il n’existe plus de plan ; il faudrait le faire tout autre… L’Angleterre sera toujours obligée d’être reconnaissante qu’ici on ait été un peu disposé à s’allier à elle, et la France ne pourra jamais dire que le Danemark a voulu faire la guerre contre elle... Tout cela n’était que châteaux en Espagne. Peut-être Dumouriez en a-t-il parlé avec des amis, et ces amis avec d’autres. C’est possible. Il peut avoir parlé d’espérances et non de réalités. Quant à ce qui regarde ce plan, et surtout son exécution, personne ne le connaît. Il faut toujours dire avec Villars : « Si ma chemise connaissait mon plan, je la brûlerais. » (Archives royales de Danemark)