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ses hésitations. De ses entretiens avec son protecteur sortit le plan que nous devons maintenant exposer.

Jusqu’à ce moment, entre la France et la coalition, le gouvernement danois était resté neutre. Cette neutralité créait au Danemark une situation périlleuse. Si, d’une part, elle ne suffisait pas à le protéger contre une invasion française, d’autre part elle excitait contre lui les défiances des alliés. C’était un grave danger dont Dumouriez, dès qu’il se sentit maître de la confiance du prince de Hesse, sut habilement tirer parti. A son avis, le Danemark ne pouvait s’y dérober qu’en entrant dans la coalition.

Ce danger, le prince ne le contestait pas. Mais, tout en reconnaissant les avantages que trouverait à intervenir son gouvernement, il s’attachait à chercher les moyens de réaliser l’intervention sans compromettre la neutralité. « Nous ne pouvons intervenir que pour pratiquer la paix, disait-il. Mais cette paix ne sera durable que si elle est conclue avec un autre gouvernement que le gouvernement actuel. Or, le changement que nous désirons n’est possible que si les Français qui le désirent sont assurés d’être appuyés, au moment voulu, par un corps de neutres. Ce corps de neutres lui-même devrait être soutenu par les alliés. Il pourrait prendre alors l’initiative des propositions de paix, lesquelles seraient les suivantes : 1° intégrité de l’ancien territoire français ; 2° démission du Directoire et nomination d’un conseil provisoire; 3° réunion des assemblées primaires pour élire de nouveaux représentans[1]. » Comme conséquence de ces vues, le prince de Hesse estimait que le Danemark était en état de former ce corps de neutres.

Lorsque, pour la première fois, il examina cette hypothèse avec Dumouriez, c’était au mois de juillet 1798, dans son château de Louisenland, où il avait invité le général à déjeuner. Ils cherchèrent ensemble par quel côté le corps de neutres pourrait entrer en France. Dumouriez avait commandé à Cherbourg. La côte normande lui était familière. Il voulut démontrer que, par là, le débarquement serait facile. Avec un crayon, il dessina le profil de l’île Saint-Marceau et de la presqu’île du Cotentin. «Pardieu! s’écria le prince Charles de Hesse, après avoir embrassé d’un coup d’œil le dessin, si j’étais le ministre Pitt, au lieu d’attendre la descente de l’armée française en Angleterre, j’irais avec cent mille hommes m’emparer de cette presqu’île, ayant les deux flancs appuyés sur les îles, des deux côtés. » — « Dumouriez se leva comme une tempête, écrivait le prince au régent de Danemark, en lui racontant l’incident, furieux de la pensée que je venais d’exprimer. Je l’adoucis, en répondant

  1. Correspondance du prince de Hesse, (Archives royales de Danemark.)