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coalisés. Cette confidence lui fut faite par le libraire Fauche-Borel, dont le nom a été prononcé plus haut. Fauche-Borel, surpris à Paris par les événemens de fructidor, s’était réfugié à Londres après avoir sauvé à grand’peine sa vie et sa liberté. Il s’y trouvait au moment de l’arrivée de Pichegru. Il alla le voir et, quand il se fut assuré de son dévoûment à la cause royale, il osa lui confier ce qu’il n’avait avoué à aucun des agens du roi, ni même au comte d’Artois.

C’est ainsi que Pichegru se laissa conter qu’une négociation venait de s’ouvrir entre Louis XVIII et Barras. Fauche-Borel, qui en avait conçu l’idée, en était resté l’instrument le plus actif. Botot, le secrétaire de Barras, et David Monnier, ami de Botot, en étaient avec lui les intermédiaires. Il s’agissait de profiter de la promesse faite par le puissant directeur de livrer aux partisans du roi le gouvernement et l’armée, à des conditions encore à déterminer. En se séparant à Paris, Fauche-Borel, agent de Louis XVIII, et David Monnier, agent de Barras, s’étaient donné rendez-vous à Hambourg. Fauche-Borel allait s’y rendre. Il comptait y trouver des instructions du roi, à qui il avait écrit, et des pouvoirs pour négocier.

Afin de dissimuler le véritable but de son voyage, il s’était laissé confier par le cabinet anglais, sans lui parler de ses projets, une mission pour la Suisse. Il venait donc s’ouvrir à Pichegru, en lui demandant le secret. Il lui dit que le plan qu’il avait conçu ne serait réalisé que si quelque général encore populaire, exerçant une action sur l’armée, le prenait en mains, et qu’il avait songé à lui pour jouer cette grosse partie.

Pichegru se promit sans réserve. Il s’engagea, au moment où Fauche-Borel allait quitter l’Angleterre, à reprendre à Hambourg ce très étrange entretien.

Les conférences de Pichegru avec les ministres anglais se poursuivaient, entre temps, dans le plus rigoureux mystère. A la demande de Wickham, le général s’abstenait de fréquenter les émigrés. Vers la fin d’octobre, c’est-à-dire un mois après son arrivée à Londres, ni les agens du roi, ni ceux du comte d’Artois, ni ce prince lui-même, n’avaient obtenu de lui autre chose que des propos vagues, non qu’il dissimulât entièrement ses intentions, mais parce qu’il ne voulait pas dire dans quelle mesure l’Angleterre les seconderait.

Les ministres favorisaient sa réserve. Même en recevant le duc d’Harcourt, lord Grenville s’abstenait de toute allusion aux pourparlers engagés. Le 26 octobre, d’Harcourt, sur la foi des renseignemens qu’il avait pu recueillir, écrivait à Mitau : « Pichegru est à la campagne entretenu aux frais du gouvernement qui, d’abord, voulait le voir, et, ensuite, a voulu conserver la possibilité de donner