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de la nature ; éclairée seulement par les lueurs pâles du ciel, la famille franciscaine attendait que l’âme de l’apôtre prît son vol. Il se passa alors une chose merveilleuse, dont la légende est en saint Bonaventure. Une nuée d’alouettes, alaudæ aves lucis amicæ, qui ne gazouillent jamais que dans un rayon de soleil, vint s’abattre en chantant sur l’église de Sainte-Marie-des-Anges, sur le toit des cellules, dans la cour du couvent ; saint François d’Assise expira, pleuré par un chœur d’oiseaux.

Cette nuit-là, les enfans de l’Ombrie firent retentir de cantiques glorieux les vallées et les collines, selon la tradition de l’église primitive, qui célébrait avec allégresse la mort des martyrs et des confesseurs. Le lendemain, un peuple immense, tenant des branches d’olivier et des cierges allumés, porta en triomphe saint François, la face découverte, à la cathédrale de Saint-George, en passant par le couvent de Saint-Damien, afin que sainte Claire et ses nonnes le vissent une dernière fois. Deux ans plus tard, le vieux Grégoire IX, qui avait été son ami, et le premier cardinal protecteur de l’ordre, vint proclamer sur son tombeau la béatitude du Père séraphique. En 1230, on descendit le saint dans une chapelle souterraine de la sombre église inférieure d’Assise ; en 1236, l’église d’en haut était terminée, l’église aérienne et lumineuse qui couronne le reliquaire où il repose.

Il laissait à l’Italie une œuvre durable et très grande. L’ordre franciscain, emporté par l’élan d’imagination que le fondateur avait provoqué, devait avoir, dans la péninsule même, des fortunes assez diverses ; tantôt il défendit avec un zèle passionné le siège de Rome et l’intégrité du Credo antique ; tantôt, novateur téméraire, troublé par son propre mysticisme, il embrassa sans effroi la pensée du schisme. L’image de saint François demeura peut-être trop divine dans le souvenir de ses disciples. Le peuple disait, même de son vivant : « Il exauce ceux que Dieu ne veut plus entendre. » On le considéra comme un révélateur et un second messie. Élie de Cortone fut regardé comme un Judas, simplement parce qu’il avait essayé de tempérer le précepte de pauvreté, et bâtissait de grands couvens et de belles chapelles, tandis que Jean de Parme, vers 1250, put, sans scandale pour l’ordre dont il était le chef, accepter les vues audacieuses du monachisme joachimite qui, en ses pseudo-prophéties, exaltait François, et gouverner, à la façon d’un antipape, l’église de l’évangile éternel. Mais l’institut franciscain, si belle que soit sa place dans l’histoire du christianisme, n’est peut-être pas le fruit le plus précieux de l’apostolat d’Assise. La renaissance religieuse, après avoir atteint toutes les parties de la société italienne, affecta l’ensemble même d’une civilisation adolescente, qui cherchait