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stitut des prêcheurs, Domini canes, disait le moyen âge, suffisait pour garder le troupeau et faire la chasse aux brebis vagabondes. Il n’entendait rien aux profondeurs de la théologie ; il était encore plus étranger aux subtilités dialectiques de l’école. Il tenait en médiocre estime les sciences profanes, les lettres et les livres. Peut-être aussi, les exploits de l’inquisition dominicaine dans le midi de la France l’éloignèrent-ils d’une mission évangélique où intervenait si efficacement le bras séculier, et où la croix n’allait guère sans l’épée ni la torche. Il abandonna donc les hérétiques italiens à la prédication impétueuse de son disciple portugais Antoine de Padoue. Son génie se trouvait plus à l’aise en face des païens. La conversion des lointains infidèles fut, dès le XIIIe siècle, l’une des œuvres préférées de l’ordre : le frère Planocarpini qui était, en 1223, ministre provincial de Saxe, devait aller bientôt, au nom d’Innocent IV, jusqu’en pleine Tartarie, frayant ainsi la route de Marco Polo. François avait donné le premier le signal de ces grandes entreprises ; en 1219, il était sous les murs de Damiette, au milieu des assiégeans chrétiens que le sultan Malek-al-Kamel, campé sur le Nil, s’efforçait de rejeter hors de l’Égypte. Il songeait à convertir les Sarrasins et se présenta au sultan, à qui il demanda l’épreuve du feu. Il s’agissait pour lui de traverser, en compagnie d’un iman, un bûcher enflammé. Aucun prêtre musulman n’eut la curiosité d’aider au miracle, et saint François revint au camp des croisés, emportant, selon l’archevêque d’Acre, Jacques de Vitry, cette bonne parole du prince païen : « Prie pour moi, afin que Dieu me révèle la foi qui lui plaît le mieux. » Il dut se contenter de prêcher aux chrétiens qui avaient grand besoin d’un apôtre ; mais il perdit près d’eux sa peine et ses sermons. Le continuateur de Guillaume de Tyr écrit, en effet : « Il vit le mal et le péché qui commença à croître entre les gens de l’ost, si li desplut, par quoi il s’en parti, et fu une piece en Surie, et puis s’en rala en son pais. »

Il retrouvait son église florissante, aimée du saint-siège, confirmée par le concile de Latran de 1215. Il passa sept années encore à visiter sans cesse les provinces italiennes de l’ordre, avec la joie du père de famille qui voit mûrir une moisson dorée sur le champ dont il a arraché les pierres et les ronces. Il rencontra, dit-on, en 1222, l’empereur Frédéric II, et il en charma la cour à demi musulmane par sa pureté et sa candeur. De plus en plus il s’enfermait de longues semaines dans la solitude, sentant que la fin de son pèlerinage était proche et qu’il entrerait bientôt au sein de Dieu. Il était malade, épuisé par la pénitence, pouvant à peine se tenir debout, ne pouvant plus manger, presque aveugle. Il disait à son médecin : « Il m’est indifférent de vivre ou de mourir, » et à