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pour notre salut que Dieu nous a appelés dans sa bonté, c’est aussi pour le salut des peuples… N’ayez garde de juger et de mépriser les riches qui vivent dans la mollesse et portent des vêtemens somptueux, car Dieu est leur Seigneur aussi bien que le nôtre ; il peut les appeler et les justifier. Nous devons les honorer comme nos frères et nos maîtres ; comme nos frères, puisque nous avons tous le même Créateur ; comme nos maîtres puisque, par leurs secours, ils viennent en aide aux gens de bien. Allez donc annoncer la paix aux hommes et prêcher la pénitence pour la rémission des péchés ; les uns vous accueilleront avec joie et vous écouteront volontiers ; les autres, impies, orgueilleux et violens, vous blâmeront et s’élèveront contre vous. Dans peu de temps, beaucoup de nobles et de savans se joindront à vous. Soyez patiens dans la tribulation, fervens dans la prière, courageux dans le travail, modestes dans vos discours, graves dans vos mœurs, reconnaissans pour le bien qu’on vous fera et le royaume des cieux sera votre récompense. » En 1217, au premier chapitre général, il renouvela les mêmes préceptes de tolérance et de charité. « Que la paix soit encore plus au fond de vos cœurs que sur vos lèvres. Ne donnez à personne occasion de colère ou de scandale ; portez tout le monde à la bénignité, à la concorde, à l’union. Guérir les blessés, consoler ceux qui pleurent, ramener les pauvres égarés, voilà quelle est votre vocation. Il en est qui vous paraissent être les membres du diable et qui seront un jour les disciples de Jésus-Christ. »

Et les frères s’en allaient de bourg en bourg, de ville en ville, disant leur bréviaire tout en marchant ; ils entraient dans les maisons, prêchaient sous le porche des églises. Ce monde franciscain était d’une activité extraordinaire. Le fondateur ne souffrait point de paresseux, d’ocieux dans son ordre, « Va-t’en, frère mouche, disait-il à un novice qui ne songeait qu’à manger et à faire la sieste à l’ombre après le dîner. Il y a assez longtemps que tu vis à la manière des frelons, qui ne font pas de miel et dévorent celui des abeilles. » Ceux qui étaient prêtres confessaient les fidèles ; on aimait ces pasteurs errans qui disparaissaient le lendemain, emportant les secrets fâcheux des consciences, et que l’on pensait ne revoir jamais. Ils arrangeaient les querelles de familles, calmaient les haines de partis, apaisaient les révoltes publiques. En 1210, ils intervinrent entre les barons et les serfs des environs d’Assise, et firent signer aux premiers une charte d’affranchissement. En 1220, à Bologne, saint François exhortait, avec une persuasion véhémente, les factions qui déchiraient la commune à se réconcilier. Plus tard encore, il fit la paix entre l’évêque d’Assise et la ville. Le loup très féroce d’Agubbio, qu’il ramena, docile comme un mouton, dans la mystique petite cité fameuse pour ses belles enluminures