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Dieu se contentait, en échange de l’amour des âmes, d’une discipline plus douce ; les devoirs de piété s’accommodent d’une plus souple interprétation. Saint François prie sans cesse, non par obligation, mais parce que la prière le réjouit. Il croit que l’oraison muette du cœur est meilleure que celle que balbutient les lèvres : Mentaliter potius quam vocaliter. Il ne veut point que les siens bâtissent de grandes églises ; il les exhorte à ne point faire célébrer dans leurs chapelles plus d’une seule messe par jour ; « si les prêtres sont plusieurs, qu’ils se contentent d’assister à la messe de l’un d’eux, car le Seigneur comble de sa grâce les absens comme les présens à l’autel, pourvu qu’ils soient dignes de lui. » Que le frère, à défaut de prêtre de l’ordre ou de prêtre séculier pour se confesser, s’agenouille devant son frère : confiteatur fratri suo. L’appareil extérieur du culte touche peu saint François ; il aimerait mieux dépouiller l’autel de la Vierge de son dernier ornement que de manquer à la loi de pauvreté en amassant quelques florins pour les besoins de son ordre. Une vieille femme, dont les deux fils s’étaient faits mineurs, lui demande l’aumône ; mais il ne reste plus rien au couvent que la Bible qui sert à chanter l’office dans le chœur : « Donnez-lui la Bible, dit le saint ; Dieu sera plus content du bien que nous ferons à cette pauvre femme que de nos psalmodies à la chapelle ; elle a donné ses enfans à l’ordre, elle peut tout nous demander. » « Saint François, disent les Fioretti, était une fois, au commencement de son ordre, avec frère Léon, dans un couvent où ils n’avaient pas de livre pour lire l’office. Quand vint l’heure de matines, il dit à frère Léon : « Mon très cher, nous n’avons pas de bréviaire avec lequel nous puissions dire matines, mais afin d’employer le temps à louer Dieu, je parlerai et tu me répondras comme je t’enseignerai. » Pareil accident était survenu jadis à Joachim de Flore, mais ce parfait moine, au lieu d’inventer allègrement des matines très libres, inspiré tout à coup par l’Esprit saint, avait chanté l’office canonique, sans oublier un seul verset, jusqu’à la dernière syllabe.

«  Dieu, disait François, veut la miséricorde et non pas le sacrifice. » L’austérité impitoyable du fidèle qui se met à la torture afin d’agréer au Seigneur n’a plus de sens dans le christianisme franciscain. Elle paraîtrait un manque de confiance en Dieu. Saint François glisse dans sa règle toutes sortes de tempéramens, afin d’aider la faiblesse humaine. Comme autrefois Jésus aux apôtres, il permet à ses frères de manger et de boire ce que leur présentent leurs hôtes, tout du long de leurs voyages. Si la fête de Noël tombe un vendredi, il défend que l’on observe l’abstinence. « C’est un péché, dit-il, de faire pénitence le jour où est né l’Enfant Jésus ;