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disparaît, en quelque sorte, du christianisme franciscain ; Marie, saint Jean et les anges partagent seuls la dévotion qu’il offre à Jésus. Le chrétien devient ainsi son propre pasteur et l’artisan de sa foi. La religion des œuvres perd tout ce que la religion intérieure a gagné. « Ne vous flattez pas, disait-il, d’être parfaits en accomplissant tout ce qu’un méchant peut faire : il peut jeûner, prier, pleurer, crucifier sa chair ; une seule chose lui est impossible, c’est d’être fidèle à son Seigneur. »

L’église franciscaine tient étroitement, sans doute, à l’église de Rome par la nécessité même des sacremens, par l’autorité du pape et des évêques que saint François reconnaît, non sans quelques réserves. Les frères, dit la règle, seront soumis aux clercs « pour tout ce qui touche au salut ; » mais elle ajoute : « et en tout ce qui n’est point contraire à notre ordre. » Ils sont dispensés des fêtes que le pape pourrait créer en dehors du bréviaire ou du calendrier. En réalité, ce christianisme, essentiellement mystique, enlève à l’église séculière la surveillance incessante de la vie spirituelle ; il échappe à la hiérarchie ecclésiastique et s’organise en dehors de toute hiérarchie traditionnelle ; saint François observe à la lettre la belle formule pontificale : Servus servorum Dei ; lui-même, et tous les chefs des groupes franciscains, ne sont que les ministres, les gardiens, les serviteurs vigilans de leurs frères ; l’épiscopat monacal des abbés est inconnu dans l’institut nouveau. Le testament de saint François défend aux frères de solliciter de Rome aucun privilège pour la prédication ou contre la persécution. Le plus grand nombre des franciscains n’a point reçu la cléricature ; le fondateur ne fut jamais que simple diacre ; tous cependant ils remplissent l’office apostolique par excellence de la prédication. La prière de saint François monte aussi près de Dieu que les paroles liturgiques de l’évêque de Rome. Les frères qui ont pratiqué la vie évangélique, dit le curieux opuscule sur les Stigmates, entreront droit au paradis ; ceux dont le zèle a été faible ne languiront au purgatoire que le temps prescrit par François lui-même ; chaque année, au jour anniversaire de sa mort, le saint descendra aux limbes pour en tirer les âmes de ses frères et sœurs des trois ordres et des chrétiens qui ont aimé le pénitent d’Assise. Une fois même, François fut plus fort que les portes de l’enfer. Il lui avait été révélé que le frère Élie de Cortone, son premier successeur au généralat, se révolterait contre l’ordre et l’église et serait damné. Il obtint que la sentence serait effacée et qu’Élie, éclairé à sa dernière heure, mourrait avec le pardon du pape, revêtu de la robe franciscaine.

La voie du salut s’est donc élargie ; chacun y chemine à son gré et plus librement. L’observance religieuse se simplifie, comme si