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la Jérusalem triomphante de saint Jean. Jésus entoure de ses bras sanglans le mystique d’Assise, imprime sur ses mains, sur ses pieds et sa poitrine, les stigmates de sa passion, et l’emporte, fou d’amour, au sein du Père céleste.

Mais, si haut qu’il soit, il ne perd jamais la terre de vue, cette humanité souffrante que Jésus consolait, la foule des petits et des simples dont le Sermon de la montagne enchantait les misères. Il soigne de ses mains les lépreux avec la douceur d’une sœur de charité, purifiant les plaies de l’âme en même temps que celles du corps. Aux voleurs que le gardien d’un de ses couvens avait repoussés il envoie le pain et le vin destinés à son propre repas, avec des paroles de bonté si touchantes qu’ils courent se jeter à ses pieds et le prient de les prendre dans son ordre. Si, le jour du chapitre général des mineurs, des milliers de pèlerins se réunissent dans la plaine d’Assise, on voit venir, vers midi, par tous les chemins qui mènent à Spolète, à Orvieto, à Pérouse, à Foligno, des cortèges de mulets, de chevaux, de charrettes chargées de provisions en pain, vin, fèves et fromages, disent les Fioretti, « et autres bonnes choses à manger pour les pauvres de Jésus-Christ. » Une nuit de Noël, dans la vallée de la Greccia, il convia les paysans et les bergers à souhaiter la bienvenue à celui qu’il appelait, selon Thomas de Celano, « le petit enfant de Bethléem. » Dans la paix de minuit, les bois s’éclairèrent tout à coup de la lueur des torches qui marchaient vers une étable où saint François attendait, près de la crèche pleine de paille, entre l’âne et le bœuf. Quand tout le monde fut agenouillé, il lut, en sa qualité de diacre, au côté droit de la crèche, comme à un autel, l’évangile selon saint Luc, puis il se tourna vers les fidèles prosternés dans l’ombre, et leur prêcha la naissance du Sauveur. Certes, à la même heure, il y avait moins de foi et d’amour dans la basilique de Saint-Jean de Latran, sous la coupole impériale de la chapelle Palatine de Palerme. Quelques-uns crurent voir un instant, sur la paille de la crèche, un enfant endormi qui semblait peu à peu s’éveiller et qui ouvrait ses bras. C’était, en effet, le Dieu des pauvres, que la voix de saint François tirait d’un long sommeil, et qui de nouveau souriait dans les consciences.

Et, en même temps, c’était une religion nouvelle que les hommes de bonne volonté recevaient de François d’Assise, comme jadis ils l’avaient reçue sous les étoiles de Bethléem. Nous touchons ici au point capital de l’œuvre franciscaine. Par l’amour et la pitié, François ramenait l’Italie au pacte évangélique ; sans théologie ni scolastique il restaurait le christianisme primitif ; sans hérésie et sans lutte il rajeunissait l’église et donnait à son siècle la liberté reli-