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rain, il perd son rang dans la féodalité italienne ; il n’a plus de place dans la hiérarchie politique de la chrétienté ; c’est un évêque dépossédé, et rien de plus. Il se sauve alors vers les Alpes ou du côté des terres normandes ; mais, dans sa chute, il n’emporte pas intacte l’autorité apostolique. Derrière lui, les patriciens ou la populace de Rome, les cardinaux schismatiques ou l’empereur élèvent aussitôt un antipape, ou bien l’église germanique et impériale se substitue à l’église italienne et pontificale, et l’on voit des empereurs tels que Othon III, Henri III, Henri V, qui, au nom de l’onction sainte qui a touché leur front, usurpent une sorte de monarchie mystique, s’attribuent le sacerdoce, parlent et agissent en vicaires visibles de Jésus-Christ. Chaque fois que le pape romain reprend le bâton de l’exil, l’Occident croit entendre la tunique sans couture qui se déchire.

Jamais le problème du double pouvoir pontifical n’avait semblé plus difficile à résoudre qu’aux dernières années du XIIe siècle. L’église chancelait sur la tête d’Innocent III. À Rome, la commune, tantôt oligarchique, tantôt démocratique, était autonome et hostile ; la démagogie reparaissait sans cesse sur le Capitole ; la plupart des nobles pactisaient avec le peuple ; les terribles Orsini venaient d’entrer dans l’histoire de la papauté ; partout, dans la ville, au Colisée, aux thermes de Paul-Émile, au théâtre de Marcellus, au Quirinal, se dressaient les tours des barons rebelles ; des hauteurs de Saint-Jean-de-Latran, où il vivait seul, entouré des Annibaldi, Innocent entendait jour et nuit la cloche du Capitole qui sonnait la guerre civile. Autour de Rome, les barons et le sénateur communal étaient maîtres de tout le pays ; plus loin, les comtes allemands, capitaines de l’empereur, campaient dans toutes les provinces de l’église ; plus loin encore, sur les Deux-Siciles, Henri VI avait établi le pivot de l’empire. Au nord de Rome, c’étaient les communes, malveillantes en Toscane, douteuses partout ailleurs, qui, en ruinant l’épiscopat féodal, avaient privé le saint-siège de sa meilleure ressource en Italie et pouvaient d’un jour à l’autre se ranger autour de l’empereur contre le pape. Dans la plus florissante moitié de l’Italie, c’était l’hérésie occulte qui gagnait tous les ordres de la société ; dans toute une moitié de la France, l’hérésie triomphante, soutenue par les seigneurs ; à Paris, enfin, l’hérésie scolastique d’Amaury de Chartres, qui niait l’éternité du christianisme. La chrétienté italienne épouvantée prêtait l’oreille aux prophètes de malheur qui lui annonçaient l’approche de l’Antéchrist et la fin de toutes choses. Innocent III, plus jeune et plus docte que Grégoire VII, aussi pur que lui, vit clairement ce qu’il fallait faire pour sauver le saint-siège, l’église romaine et peut-être l’unité du