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munale se trouve encore dans la période héroïque de l’invention et de la lutte. Les villes de Toscane sont assez fortes pour former une ligue contre l’empire. En 1176, à Legnano, les villes lombardes qui s’étaient affranchies déjà de l’autorité des évêques et des comtes, ont brisé à son tour le joug impérial. Dix ans plus tard, Henri, fils de Frédéric Barberousse, arrache lui-même au pape toutes les cités de la région d’Orvieto, de Pérouse et de Spolète. Saint François, tout petit, vit, pour quelques jours, selon le mot d’un contemporain, l’église romaine « réduite à la mendicité. » Assise était dès lors, par ses relations commerciales avec les villes voisines, une commune florissante. C’est devant les consuls que son père Bernardone, riche marchand de draps, cita le jeune homme, dont la vocation lui semblait un acte de révolte. François récusa la juridiction consulaire et en appela à l’évêque, « qui est, disait-il, le père et le seigneur des âmes. »

Il se tournait ainsi vers le passé de l’église, afin d’échapper à la prise du régime nouveau dont il ne pouvait apercevoir la grandeur entre les murs étroits d’Assise, mais dont la discipline lui paraissait bien dure pour l’indépendance et la fraternité des âmes. Le malaise presque inconscient du cœur et l’expérience de la vie quotidienne lui firent voir de bonne heure les contradictions qui se glissaient entre l’état social que l’Italie s’était donné et le christianisme. La cité italienne n’est, en effet, une œuvre de liberté et d’égalité qu’en apparence. La communauté y surveille et y entrave l’individu, car les franchises de l’association municipale ont pour garantie l’abdication de toute volonté personnelle. Le citoyen est attaché à sa ville aussi rigoureusement que jadis le colon l’était à la glèbe ; la puissance anonyme dont il dépend est une gêne plus étroite que l’ancien pacte féodal ; le contrat qui lie l’homme au seigneur repose sur un intérêt permanent et réciproque, tandis que la seigneurie abstraite de la commune, à la fois irresponsable et changeante, modifie vingt fois par siècle, selon l’intérêt ou le danger du jour, l’accord social, et rend le sort de l’individu d’autant plus difficile qu’il est plus incertain. Ici, l’homme est enfermé dans quelqu’un des groupes dont l’ensemble constitue l’état communal ; il appartient pour toute sa vie à une classe déterminée, à un métier, à une corporation, à une paroisse, à un quartier. Ses consuls ne lui mesurent pas seulement sa part de liberté politique, mais règlent par un décret tous les actes de sa vie privée, prescrivent le nombre de figuiers et d’amandiers qu’il peut planter sur son champ, le nombre de prêtres et de cierges qui accompagneront ses funérailles, lui défendent d’entrer dans les tavernes réservées aux étrangers, de faire des dons à de nouveaux époux, de porter des bijoux ou des étoffes précieuses au-delà d’une certaine valeur ;