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de lui et longtemps encore après lui, la poésie et les arts s’inspirèrent de sa mémoire et la civilisation de son peuple garda la trace de son génie. Sur ce point, tous les critiques sont d’accord, les chrétiens et les rationalistes. Les vues ébauchées, au commencement de ce siècle, par Gœrres, dans son opuscule sur saint François troubadour développées par Ozanam et les historiens de la peinture, tels que Crowe et Cavalcaselle, viennent d’être complétées, avec une rare érudition, par M. Henri Thode, en son livre sur les origines franciscaines des arts italiens[1]. La secousse imprimée par saint François aux consciences s’est prolongée si loin, à travers de si nombreux ouvrages de la peinture, de l’architecture, de la poésie lyrique et du drame sacré, que l’on peut, sans illusion, signaler sur les collines de l’Ombrie le premier rayon d’aurore de la renaissance.

Si saint François a fait de si grandes choses, c’est qu’il répondit à merveille aux nécessités religieuses de son pays et de son temps. Ce n’est pas assez de voir en lui un enthousiaste et un apôtre ; encore faut-il rechercher pourquoi cet enthousiasme a éveillé de tels échos dans les cœurs, et comment son apostolat a porté en quelques années des fruits si beaux. Certes, lui-même et son ordre sont, sur plus d’un point, inférieurs à saint Dominique et à son institut. Les prêcheurs ont été plus disciplinés, plus savans, plus capables d’action politique ; ils ont élevé saint Thomas et Savonarole et des inquisiteurs qu’on n’oubliera jamais. Toutefois, ils n’ont point rendu à la science d’aussi grands services que les bénédictins ; ils n’ont point dépassé les mineurs dans l’art de parler de Dieu à la foule. Après eux, les jésuites se sont dévoués avec plus de suite au saint-siège dans le gouvernement secret de la chrétienté ; mais aucune création religieuse n’a égalé en originalité l’œuvre de saint François, par cela seul qu’elle vint à une heure de l’histoire du christianisme et de l’histoire de l’Italie où toutes les âmes attendaient une bonne nouvelle, où les chrétiens doutaient de l’église, où la société civile avait soif de charité et de pitié. Le pape Innocent III vit alors en songe la basilique du Latran qui penchait et l’enfant d’Assise qui lui prêtait son épaule et la soutenait. C’était la vision de l’avenir, le pressentiment d’une réalité historique dont il nous importe d’abord d’analyser les principaux élémens.

I.


Saint François naquit en 1182. Cette fin du XIIe siècle est, en Italie, d’un mouvement de vie extraordinaire. La révolution com-

  1. Franz von Assisi und die Anfänge der Kunst der Renaissance in Italien, Berlin, 1885.