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plus tôt encore. Trois ans après la mort du fondateur, en 1229, l’un de ses disciples, Thomas de Celano, écrivit sa vie sur l’ordre du pape ; puis, en 1247, les Tres socii, Leo, Rufin et Angelo, recueillirent en une seconde chronique leurs propres souvenirs et les témoignages des contemporains ; enfin, en 1263, saint Bonaventure, général de l’ordre, fixa, dans son histoire, les récits des derniers survivans de la première génération franciscaine. Le XIVe siècle produisit deux ouvrages singuliers : l’un, anonyme, tout populaire et d’une candeur charmante, les Petites Fleurs, qui sont l’évangile idyllique de l’apostolat franciscain ; l’autre, scolastique, et d’un raffinement extraordinaire d’analyse, le Liber conformitatum ou Liber aureus de Barthélemy de Pise ; ici, par le rapprochement perpétuel de Jésus et de François, s’exprime avec une parfaite clarté la pensée secrète qui fut l’orgueil de l’ordre : à savoir, que François a accompli tout ce que le Sauveur avait fait, même sa propre résurrection, sous forme d’apparitions à ses fidèles. C’est à ces sources premières qu’ont puisé tour à tour, au XVIIe siècle, Wadding, l’auteur des Annales minorum, et, plus tard, les continuateurs des Acta sanctorum de Bolland. En ces vastes compilations, la critique n’apparaît guère que dans la disposition chronologique des faits, qui tous, même les plus surprenans, sont acceptés d’avance. Cette façon édifiante de raconter saint François a été représentée, il y a trente-cinq ans, par les Poètes franciscains d’Ozanam, et, tout récemment, par le livre distingué publié sous la direction des pères franciscains de Paris[1]. Mais le saint a eu cette heureuse fortune que les critiques purement rationalistes, tels que le docteur Hase et M. Renan, n’ont point fait tomber l’auréole de sa tête[2]. Il demeure pour eux le miracle du XIIIe siècle ; son église s’ouvre toujours pour les esprits les plus libres, pourvu qu’ils aient le sens juste de l’histoire et goûtent la poésie des jours antiques. M. Hase, qui est protestant, a pu intituler son excellent petit livre Tableau de sainteté. Il est si facile de s’entendre sur les parties surnaturelles de la légende, étroitement unies à la réalité historique de saint François et de son temps ! C’est en son cœur qu’était le merveilleux. S’il n’a point conversé avec les anges dans les solitudes de l’Alvernia ; s’il n’a point été appelé véritablement par la voix de Jésus, lui apportant la règle de l’ordre nouveau, il a certes retrouvé la tendresse du christianisme primitif, il a rendu à l’Italie la foi joyeuse, il a rapproché l’église et l’Occident latin du Père céleste. Il a fait plus encore : il sema sur la terre italienne des idées de liberté si fécondes, il eut sur les imaginations une si pénétrante action, il fut un tel créateur, qu’autour

  1. Saint François d’Assise. Paris, Plon et Nourrit, 1885.
  2. Frans von Assisi, ein Heiligenbild. von Dr K. Hase. Leipzig. 1856, Renan, Nouvelles Études d’histoire religieuse. Paris, 1884.