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roi, ce qui, du même coup, lui valait un monopole et supprimait la rivalité gênante de Charpentier. Voilà, cependant, qu’il le retrouvait sur son chemin. Vite il recourt au roi et, le 20 septembre, obtient un nouveau privilège aggravant le premier. Cette fois, en remontrant que ses airs, passés, présens et à venir, sont « purement de son invention et de telle qualité que le moindre changement ou omission leur fait perdre leur grâce naturelle, » il obtient de faire éditer par un imprimeur à lui non-seulement les airs qu’il fera, mais aussi « les vers, paroles, sujets, dessins et ouvrages, » sur lesquels ses anciens airs ont été faits. A interpréter au pied de la lettre les termes de ce privilège, c’était une bonne partie des pièces de Molière que Lulli confisquait à son profit. Il ne s’en tint pas là : qui peut imprimer un texte comme sien est le maître de ce texte ; aussi, le 15 novembre 1672, Lulli faisait-il représenter sur son théâtre les Fêtes de l’Amour et de Bacchus, fabriquées par son homme-lige Quinault avec nombre de morceaux repris aux pièces de Molière. Cette fois, voilà bien au complet le Florentin de La Fontaine ;


C’est un paillard, c’est un mâtin,
Qui tout dévore,
Happe tout, serre tout : il a triple gosier.
Donnez-lui, fourrez-lui, le glout demande encore :
Le roi même auroit peine à le rassasier.


Nous ne savons rien des démarches que Molière dut faire auprès du roi ; mais il obtint certainement la promesse verbale que le privilège de mars ne lui serait pas appliqué dans toute sa rigueur, car, le 11 novembre, devançant Lulli de trois jours, il reprenait Psyché avec la partition de Lulli. il ne tenait pas davantage compte du privilège d’avril, car il employait pour cette reprise le même nombre de musiciens et de danseurs qu’auparavant. Singulier régime que celui du privilège ! Dans le cas présent, l’arbitraire royal et le désir de contenter deux rivaux faisaient que Lulli prenait le bien de Molière et Molière celui de Lulli.

Entre temps, Molière avait mis sur le chantier une grande pièce, qu’il destinait au divertissement de la cour pour le carnaval de 1673, comme le prouve le texte imprimé après sa mort et qu’il n’eut pas le temps de modifier : il disait expressément dans le prologue que « le projet de cette comédie avait été fait pour délasser l’auguste monarque de ses glorieux travaux. » Et comme si, au moment où il se mettait à l’œuvre, il avait déjà vent des intrigues menées par Lulli, il se jetait à corps perdu dans ces flatteries auxquelles