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qu’elles tombent sur un organisme intelligent, qui, avec plus ou moins de conscience, comprend ce qu’elles signifient : de sorte que l’intensité de la frayeur ne dépend pas de l’excitation elle-même, mais de la réaction de l’organisme à cette excitation.

À ce point de vue, la peur diffère notablement de la douleur. La douleur d’une brûlure par exemple sera presque tout à fait proportionnelle à la force de la brûlure. Une douleur est d’autant plus vive que l’eau est plus chaude, la surface de peau plus vaste, et la durée du contact plus longue ; mais pour la peur l’excitation ne joue presque aucun rôle, et son intensité n’a aucune influence sur l’intensité de l’émotion. C’est l’organisme qui fait tous les frais de la peur. Une personne craintive se promène le soir dans un endroit isolé : alors pour elle le moindre froissement d’une branche d’arbre va devenir un motif d’épouvante. Cependant ce léger bruit est tout à fait inoffensif ; il n’est effrayant que parce qu’il frappe un organisme très excitable.

La peur dépend de notre excitabilité personnelle, individuelle, qui est essentiellement variable. Il y a des hommes qui sont naturellement braves, d’autres qui sont naturellement craintifs. Les enfans sont en général peureux ; les femmes sont moins braves que les hommes ; les individus nerveux moins braves que les individus flegmatiques.

De même, il y a des animaux braves et des animaux craintifs. Les carnivores, les carnassiers, ceux qui sont agressifs, et dont la destination est de poursuivre, au lieu d’être poursuivis, sont en général peu timides. Je ne veux pas dire qu’ils manquent de prudence ; le renard, le loup, sont d’une prudence proverbiale ; ils sont sauvages, mais ils ne sont pas faciles à effrayer comme le lièvre, le lapin, et les autres animaux inoffensifs dont la seule défense est dans une fuite rapide.

Les rats et les souris sont peut-être les plus craintifs de tous les animaux. Si, près d’un rat mis dans une cage, on fait quelque bruit, aussitôt le rat va tressauter ; à chaque bruit, à chaque ébranlement de sa prison, il va répondre par une émotion générale de tout son être, et un tremblement convulsif. Ce n’est pas à dire qu’il manque de bravoure, mais il est très excitable, plus excitable que les animaux indolens et peu nerveux, comme le lapin domestique, par exemple, ou le mouton, ou le porc.

Et, en vérité, nous avons probablement eu tort d’employer, pour différencier les divers individus, les termes de bravoure et de timidité. Tel individu nerveux, craintif, impressionnable, peut être d’une extrême bravoure. Il n’en aura d’ailleurs que plus de mérite ; mais son tempérament sera d’être facile à effrayer, et certes il n’est pas commode de trouver dans la langue un mot pour expri-