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est vrai que cette gloire elle la devra presque tout entière au génie d’un seul homme.

On a eu raison de le remarquer, avec des dons admirables et très personnels, il y avait chez Rubens une souplesse d’organisation peu commune et qui lui a permis de concilier, autant qu’on le pouvait, des génies aussi différens entre eux que celui de la Flandre et celui de l’Italie. Il faut bien reconnaître aussi que dans cette tâche délicate il fut merveilleusement servi par les circonstances. L’éducation, le talent raffiné, le goût un peu subtil de van Veen, son second maître, étaient autant de correctifs à la rudesse et à la brutalité inculte qu’il avait rencontrées chez van Noort. Lorsque, à l’exemple de van Veen et probablement d’après ses conseils, le jeune peintre s’était décidé à partir pour l’Italie, on sait que les huit années qu’il y passa furent bien employées. Il en revint instruit par l’étude de l’antiquité et des grands maîtres de la renaissance et quand, ainsi préparé, ardent, pressé de produire après tant de retards salutaires, il rentrait, — à cette date de 1609 qui venait de marquer l’affranchissement de la Hollande, — dans Anvers pacifié, dès ses premières œuvres il y était salué comme le chef incontesté de cette école flamande à nouveau créée par lui et dont il allait étendre et rajeunir l’ancienne renommée.

Dans cet art qu’il restaurait d’une manière si inespérée, l’Italie pouvait réclamer sa bonne part. Sans qu’il soit bien facile de démêler ce que Rubens en a reçu et ce qu’il y a ajouté, ce qu’il en faut louer et ce qu’on y trouverait aisément à reprendre, il est certain que l’ampleur, la facilité, le pompeux apparat, le sens décoratif, l’allure et l’étalage des allégories mythologiques ou religieuses, tout cela n’est guère flamand. Il est certain encore que tout cela pouvait être cependant goûté par une population dans laquelle les élémens bourguignons ou espagnols s’étaient insensiblement mêlés aux élémens indigènes. Le moment aussi était particulièrement favorable pour une abondante production. La trêve qui succédait à ces luttes sanglantes, la tolérance des derniers gouvernans, l’intelligente protection qu’ils accordaient aux arts, la magnificence des cérémonies dans les églises rendues au culte, les commandes importantes faites aux peintres pour les décorer, étaient pour Rubens des encouragemens décisifs à persévérer dans les voies où le portait son génie. Mais ce n’est pas seulement auprès de lui que les influences italiennes devaient trouver un si facile accès. A côté du maître vers lequel tout gravite ou de qui tout dérive, ses élèves, ses contemporains, ne cèdent-ils pas plus que lui-même encore à ce courant? Avec sa grâce, sa désinvolture, son élégance, Van Dyck n’est-il pas plus Italien que Rubens? Quand, comme lui, il va chercher en Italie les enseignemens qui l’attirent, il s’y trouve, dès ses