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politique et religieuse[1], tandis que les provinces du midi, définitivement soumises, restaient à la fois espagnoles et catholiques.

Des contrastes aussi tranchés entre la nature, les mœurs et la destinée de deux contrées voisines, devaient inévitablement trouver dans l’art leur écho. Au début, cet art était surtout flamand. Issu des écoles rhénanes, il avait eu à Bruges sa magnifique éclosion. En même temps que l’Italie revenait, par l’étude de la nature, à l’intelligence et aux traditions de l’antiquité, le génie des van Eyck donnait au nord le spectacle imprévu d’une continuation et d’un rajeunissement de l’art gothique. Alors que l’architecture et la sculpture du moyen âge avaient déjà accompli leur carrière, la peinture, jusque-là assez effacée, atteignait, grâce à eux, une perfection au moins égale. Elle montrait, par d’immortels chefs-d’œuvre, la puissance dont elle dispose pour exprimer la richesse infinie de la nature et les expansions de la vie dans ses acceptions les plus variées et les plus intimes. Les élèves, les successeurs des van Eyck étaient aussi des Flamands, et si, parmi eux, se glissent quelques Hollandais, comme Dirk Bouts ou Gérard David, c’est aux enseignemens de van der Weyden que leur talent s’est formé ; c’est en Flandre, à Louvain, à Gand ou à Bruges qu’il s’est exercé. À ce moment, la Hollande est encore trop rude, trop peu civilisée, trop étrangère aux habitudes de culture et de luxe qui se sont développées dans les provinces méridionales, pour que les arts trouvent leur place dans la dure existence de ses habitans. Plus tard, quand peu à peu l’école primitive dégénérée va chercher en Italie un soutien et des exemples, ce sont encore des Flamands qui donnent le signal de l’émigration. Le mouvement, commencé avec Mabuse, se continue avec B. van Orley, M. Coxie, L. Lombard, Pierre Coeck, F. Floris, M. de Vos, pour aboutir à van Veen, le maître de Rubens. En dehors de ce mouvement, à peine pourrait-on citer, de Quintin Massys à Pierre Breughel, un artiste de quelque valeur qui continue les traditions des maîtres primitifs et qui puisse être rattaché, d’une manière plus ou moins directe, à leur filiation. Quelque chose de la sève et de la force de l’ancien art persiste encore, il est vrai, dans le portrait, et surtout dans le paysage, auquel les Bril vont ouvrir en Italie des voies nouvelles. Mais les grandes compositions religieuses ou mythologiques sont abandonnées aux italianisans, et, à voir leurs œuvres fades et banales, aussi dépourvues de style que de vie, rien ne fait présager que l’école, en apparence épuisée, allait tout d’un coup atteindre sa gloire la plus haute. Il

  1. La délimitation stipulée en 1609 semble si naturellement tracée par la constitution même du sol, que c’est à elle qu’après bien des tentatives inutiles il a fallu revenir en 1831, lors de la séparation de la Belgique et de la Hollande.