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enrichi de planches imprimées en diverses couleurs et qui est aussitôt édité en plusieurs langues[1]. D’autres publications sur l’histoire romaine et les médailles grecques devaient suivre bientôt après, et Goltzius, afin de mieux témoigner la vivacité de ses sympathies pour l’antiquité, avait donné à tous ses enfans des noms romains.

L’originalité si puissante dont furent marquées les premières productions de la peinture dans les Pays-Bas avait, on le voit, entièrement disparu. Au lieu de cette forte unité qui caractérise les œuvres des primitifs et qui s’allie chez eux aux qualités les plus diverses, les tendances les plus opposées, les plus inconciliables se manifestaient alors parmi leurs successeurs. Sans doute, le vieil arbre n’était pas épuisé, et l’abondance de ses rejets, la richesse de leurs pousses attestaient encore sa vigueur. Mais, mal dirigée, la sève allait se perdre en ses folles branches, impuissante à porter des fruits mûrs et savoureux. La perfection même à laquelle étaient parvenus les van Eyck aurait suffi pour écarter toute idée d’une restauration de leur art, et, quant aux exemples de l’Italie, malgré tout le prestige qu’ils exerçaient alors sur les esprits, ils ne pouvaient, par leur seule influence, assurer un renouvellement bien efficace ni bien durable. Il fallait donc, si elle devait continuer à vivre, que la peinture se transformât. Nous voudrions essayer d’indiquer ici les conditions dans lesquelles s’opéra cette transformation et montrer comment elle devait aboutir à la séparation de l’école primitive en deux écoles tout à fait distinctes.


IV.

Yan Mander ne tient aucun compte de cette séparation. Il est vrai qu’elle n’est pas accomplie au moment où paraît son livre, mais il ne semble pas se douter qu’elle va se faire. Elle est prochaine, cependant, et depuis longtemps on pouvait la pressentir, car elle tenait à des causes anciennes et profondes. Peut-être n’a-t-on pas assez insisté sur les différences tranchées que la nature elle-même avait établies entre deux peuples longtemps confondus sous une même domination. Avec le temps, avec les circonstances, ces oppositions devaient s’accentuer de plus en plus. Pour les pays de terre ferme, comme les Flandres, pays sans grand caractère dans leur grasse et monotone fécondité, la sécurité, la richesse du sol, les facilités du commerce et de la vie avaient de bonne heure amené

  1. M. Marx Rooses, le savant directeur du musée Plantin, à Anvers, nous apprend que Rubens se trouvait, en 1630, possesseur de la totalité du tirage, soit 328 exemplaires, qu’il céda à son concitoyen Balthazard Moret.