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les plus admirées, un groupe formé par la Peinture, la Musique et la Poésie assises près d’une fontaine, « est dominé par un enfant qui rend de l’eau; » c’est l’Inclination, « ayant à ses côtés la Subtilité, que figure un serpent. » Pour mettre le comble à ces belles imaginations, l’auteur de ces merveilles s’avisa, sur la fin de sa vie, de peindre sans pinceaux, puis avec ses pieds, faisant certifier, par des attestations notariées et signées de nombreux témoins, le procédé qu’il avait employé. Tout en convenant qu’il y a là un exemple de ces dépravations auxquelles « certaines femmes sont sujettes pendant leur grossesse, » van Mander, très lié avec ce Kétel, n’est pas sans l’admirer un peu. Il s’étend longuement sur le mérite de ces ouvrages et n’hésite pas à dire « qu’ils sont plus faciles à dénigrer qu’à critiquer avec justice et à surpasser. »

Notre historien, on le voit, n’est pas un de ces esprits de haut vol qui dépassent et devancent leurs contemporains. Il est bien de son temps, au contraire, il en partage les faiblesses et les engouemens. Artiste médiocre, peut-être est-il par cela même plus disposé à s’intéresser aux travaux des autres que ne le feraient des hommes d’un talent supérieur. Il est capable d’une impartialité et d’un détachement de soi-même qu’on rencontre rarement chez les chefs d’école. S’il ne prétend pas à renouveler l’esthétique, il est d’autant plus scrupuleux à nous faire connaître plus exactement les idées des artistes avec lesquels il a vécu. Son désir d’équité et sa crainte de ne pas rendre suffisamment hommage au mérite, même lorsqu’il se trouve mêlé à de nombreuses imperfections, sont tels qu’il en vient à louer des productions qui nous paraissent aujourd’hui tout à fait insignifiantes ou même détestables. Malgré ces erreurs, il a un sentiment très élevé de son art. Il déplore que, de son temps, les peintres aient perdu l’occasion de faire leurs preuves et de donner toute leur mesure, dans ces grandes compositions religieuses ou mythologiques qui maintenant leur sont interdites et qui étaient autrefois proposées à leurs devanciers. A diverses reprises, il regrette ces nobles sujets qui leur permettaient de traiter le nu et d’aborder de front, réunies dans une même œuvre, toutes les difficultés de leur art. On reconnaît là les doctrines qui lui sont chères et qui le poussaient à fonder dans la ville où il s’était établi une académie de peinture pour y étudier le modèle vivant. C’est évidemment de ce côté que le portent ses prédilections. Bien qu’il soit attentif aux tendances nouvelles qui commencent à se manifester, il croit que c’est l’influence italienne qui seule assurera à l’école son avenir et les progrès auxquels elle peut prétendre. Pour tardive qu’elle ait été, cette influence est maintenant prédominante. Une passion contagieuse, une véritable frénésie, semblent pousser les peintres du nord vers ces contrées privilégiées, où toutes les facilités