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reconnaître, dans les circonstances où la vanité et les intérêts personnels sont en jeu. Le régime des gildes n’est alors rien moins que libéral. De ville à ville, elles se surveillent mutuellement avec un soin jaloux, et le placement des œuvres d’artistes étrangers est l’objet de prohibitions très rigoureuses. Malgré tout, il est malaisé de conserver l’accord entre les associés eux-mêmes; les froissemens d’amour-propre, l’inégalité des humeurs ou des talens, provoquent de fréquentes difficultés. Peu à peu il a fallu recourir à des règlemens très compliqués dans lesquels on a cherché à tout prévoir. Il y a des villes où les couleurs dont peuvent se servir les peintres sont spécifiées par les statuts et, en dehors de la corporation, personne n’a droit de les employer. On conçoit facilement les contestations, les réclamations nombreuses auxquelles donnait lieu un système de prescriptions aussi détaillées et aussi arbitraires.

La confrérie, qui a ses fondations propres, ses salles de réunion et sa chapelle à elle, avec ses écussons, dans la grande église, est administrée par un doyen et des commissaires élus qui organisent des expositions publiques suivies de ventes et de loteries exclusivement réservées aux œuvres des sociétaires, taxées, — la chose devait être délicate, — par les commissaires eux-mêmes. En dehors de ces expositions, les ventes mortuaires et celles faites par des marchands de tableaux qui cessent leur commerce sont seules autorisées ; encore étaient-elles entourées d’une surveillance et de restrictions très sévères. Pour les loteries, des avantages spéciaux sont faits à ceux qui prennent un nombre d’actions déterminé ; moyennant trois de ces actions, ils peuvent même participer au festin de clôture, festin qui dure parfois trois ou quatre jours et devient, à la longue, une occasion de désordres et de scandales. Les listes des tableaux qui ont figuré à quelques-unes des ventes organisées par la gilde de Harlem et l’estimation de ces tableaux nous ont été conservées et constituent, on le comprend, une source de renseignemens très précieuse, puisqu’elles permettent de fixer sûrement des dates ou des attributions et aussi d’apprécier, par comparaison, le degré de vogue dort jouissaient, parmi leurs contemporains, les auteurs de ces ouvrages. Les prescriptions qui régissaient l’apprentissage n’étaient pas moins formelles en ce qui touche sa durée, les rétributions dues au maître et les droits assez despotiques qu’il avait sur ses élèves. A Harlem, trois ans d’apprentissage étaient nécessaires pour devenir peintre, et il fallait, avant d’être admis dans la gilde, avoir fait ses preuves de maîtrise. Les engagemens signés par l’élève constituaient pour lui une véritable servitude et le laissaient à la merci d’un maître dont parfois les sévérités étaient telles que les plus impatiens s’y dérobaient par la fuite; le plus souvent, les jeunes gens dont le talent s’était développé