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s’était singulièrement accru par toute la contrée. Désormais les moindres centres en possédaient. A l’état de domesticité dans lequel ils avaient d’abord vécu auprès des princes qui les prenaient à leurs gages, une situation plus indépendante avait peu à peu succédé. Suivant les habitudes de leur pays, ils avaient naturellement conçu la pensée de se réunir entre eux dans des associations ou gildes généralement placées sous l’invocation de saint Luc, leur patron. Les registres de ces associations nous fournissent aujourd’hui une foule de documens précieux sur les dates de naissance ou de mort des artistes qui en faisaient partie, sur l’époque de leur maîtrise et sur leurs principaux ouvrages. La gilde de Harlem, dont M. van der Willigen a retracé brièvement l’histoire, nous donne assez exactement l’idée du fonctionnement de ces sociétés. Elle apparaît, pour la première fois, au commencement de 1504, et se trouve régulièrement constituée par une charte datée de 1514. Au début, elle comprend non-seulement des artistes de profession, — peintres, sculpteurs, graveurs et architectes, — mais des gens de métier tels que tourneurs de chaises, vitriers, drapiers, etc. Van Mander déplore que, même de son temps, à Bruges, les peintres soient confondus en un même groupe avec les faiseurs de harnais et qu’à Harlem les chaudronniers, les potiers d’étain et les fripiers fassent partie de la gilde. Il est vrai que les finances de la société y trouvent leur compte et qu’en flattant ainsi l’amour-propre de ces intrus, on peut tirer d’eux bon profit. Les peintres eux-mêmes sont, d’ailleurs, bien forcés d’accepter toutes les besognes pour vivre; nous les voyons met ire en couleur des statues, badigeonner des soufflets de forge, peindre des armoiries ou des emblèmes pour les salaires les plus minimes. Plus tard, quand les artistes sont devenus assez nombreux et qu’ils peuvent mieux se suffire, ils n’acceptent plus dans leurs rangs que les gens dont les professions ont quelque rapport avec la leur : les fabricans de cadres ou de tapisseries, les faïenciers, les verriers. Les peintres sont naturellement la majorité. Très jaloux de leurs privilèges, ils veillent à les faire sévèrement respecter. Les conditions d’admission dans la gilde sont minutieusement prescrites. Les enterremens des membres, payés à frais communs, se font avec une certaine pompe; tous les associés sont convoqués et doivent y assister. On vient aussi en aide aux confrères dans le besoin : ils sont exemptés des cotisations ; parfois même, à leur mort, les veuves ou les orphelins reçoivent des secours assez importans ; d’une manière générale, enfin, tout ce qui touche aux dispositions purement charitables fait honneur à cet esprit de solidarité, à cette générosité de sentimens qui, de tout temps, a été naturelle aux artistes quand il s’agit de secourir des infortunes dignes de pitié. Il n’en est plus de même, il faut bien le