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préambules qu’il cherche à varier, dans les digressions qu’il mêle parfois hors de propos à ses notices, pour faire parade de ses connaissances en histoire ou de la finesse de ses pensées. Il y a là des prétentions au savoir ou au bel esprit qui sont tout à fait choquantes ; des calembours laborieux sur les noms des peintres et des comparaisons tirées de loin, dont la complication et la longueur rappellent les propos galans que Molière a placés dans la bouche de Diafoirus. Quand il ose être simple et naturel, notre auteur laisse mieux voir la bonté, l’honnêteté foncière de sa nature, la cordiale générosité de sa camaraderie, et l’homme qui se révèle ainsi à nous est bien celui qui avait su mériter la considération et les affections dont il était entouré.

Cette œuvre, qui de plus en plus était devenue chère à van Mander, avait insensiblement aussi absorbé tous ses momens. Sur le point de la terminer, ses idées prennent un tour mélancolique. Il a comme un pressentiment de sa fin prochaine, et à la manière du prédicateur arrivé au terme de son sermon, il en vient à déplorer le néant de toutes choses. Cet art qu’il aime tant, pour lequel il a épuisé les images les plus poétiques, les plus fleuries, cet art et la vie elle-même ne lui paraissent plus qu’une ombre fugitive et « l’art par excellence, celui qu’il faut cultiver et pratiquer, c’est l’amour du prochain, seule voie de l’éternelle félicité. » Il éprouve donc quelque scrupule d’avoir ainsi laissé son livre grossir à vue d’œil. Il ne saurait toutefois médire des deux passions de sa vie et, tout en confessant « qu’il est grand temps, après avoir relaté comment ont peint les autres, qu’il s’en retourne lui-même à ses propres pinceaux, afin de constater s’il peut encore faire quelque chose qui vaille, » il estime pourtant que cette tâche qu’il a entreprise, non sans préjudice pour ses intérêts, était utile, et « il l’achève avec le même amour qui la lui avait fait entreprendre. »


III.

Après avoir montré la confiance que doit nous inspirer van Mander, nous voudrions, en groupant les renseignemens qu’il nous a laissés, essayer d’en tirer les indications générales qu’il peut nous procurer sur l’art de son temps. Cette période intermédiaire n’a pas, il est vrai, jeté un grand éclat, et les œuvres qu’elle a produites pâlissent forcément devant celles des primitifs et plus encore devant celles des maîtres de la grande époque ; historiquement, du moins, elles ont une certaine importance et permettent de pressentir les voies où la peinture va s’engager-et atteindre son apogée. Avec le temps, avec le développement du goût, le nombre des artistes, déjà considérable dans des villes comme Gand et Bruges,