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l’avons dit, fut élève de ce peintre, regrette de n’avoir pu le consulter. Il est probable cependant qu’à défaut du manuscrit lui-même, il a eu entre les mains les notes qui avaient servi à sa rédaction et qu’il en a largement profité.

Quoi qu’il en soit, et si précieux qu’aient été pour lui ces premiers essais de biographie, il est permis de dire que le travail de van Mander est bien autrement suivi et complet. Dès qu’il en eut formé le projet, notre auteur ne négligea rien pour s’en tirer à son honneur. Mieux que personne il était préparé à cette tâche, et les troubles de cette époque, les incertitudes mêmes de sa vie contribuèrent à favoriser l’accomplissement de son dessein. Les années qu’il avait passées en Italie, ses séjours à Bâle, à Nuremberg, les émigrations successives auxquelles il dut se résoudre lui permirent de rencontrer sur sa route, — à Tournai, à Gand, à Courtrai, à Bruges et enfin à Harlem, — une foule d’artistes ou d’amateurs avec lesquels, grâce à son humeur sociable, il entrait bien vite en intimes relations. Une fois son entreprise arrêtée dans son esprit, van Mander mit à profit toutes les occasions qui se présentèrent à lui. Il questionnait ses confrères, recueillait d’eux ou sur eux tout ce qu’il pouvait; il notait avec soin ce qu’il apprenait, ce qu’il voyait. Sans se rebuter jamais, il suivait toutes les pistes. Mais, loin de s’exagérer l’importance des informations qu’il a pu ainsi réunir, van Mander estime que c’est là peu de chose ; cependant il pense qu’on lui pardonnerait de grand cœur le mince produit de ses recherches si l’on savait la peine qu’il s’est donnée. Bien des fois, en effet, soit insouciance, soit scrupules exagérés ou même défiance, ceux auxquels il s’était adressé n’avaient pas répondu à ses appels réitérés. Il s’irrite quand la négligence ou les relus formels qui lui sont opposés l’ont convaincu de l’inutilité de ses tentatives. Il tient alors à dégager sa responsabilité et se défend de vues intéressées. Le travail qu’il s’est imposé « a pour mobile unique l’amour de l’art et nullement la soif du lucre. » Aussi s’étonne-t-il que les parens ou les amis qu’il a vainement sollicités ne consentent pas à faire quelque chose pour l’honneur de leur ville ou de leur pays. Il dénonce à l’opinion publique et cherche à tourner en ridicule, en jouant sur son nom, un certain docteur Iselin de Bâle, qui lui a refusé communication d’un travail sur Holbein. Avec une amertume pareille, il se plaint que les enfans d’Antonio Moro n’aient voulu lui transmettre aucun renseignement, bien qu’il se soit « adressé à eux de la manière la plus courtoise; il semble qu’ils n’aient aucun souci de la mémoire de leur père. » Sa sincérité d’ailleurs est entière; il confesse ses doutes, lorsqu’il en a, et jamais il n’avance un fait dont il ne soit certain. Quand la mort le surprit, il était occupé à revoir son livre ; il avait à cœur de le compléter et d’en corriger les erreurs.