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autour de soi ! Cette jeunesse, d’ailleurs, que nous n’avons plus, nous pouvons nous en donner encore quelque regain en l’aimant et en en jouissant chez les autres, en partageant leur ardeur, en aidant à leur développement, à leurs succès, à leurs ambitions d’avenir et de progrès, en rabattant quelquefois leur présomption, non par le ton amer et desséché du désenchantement, mais par un sourire à la Socrate, toujours accompagné d’affection. Mais, pour jouir ainsi de ces dernières heures, de ce soir d’un beau jour, il faut aimer la vie : c’est ce que nos pessimistes, chrétiens ou autres, ne savent pas, et c’est ce qui manque à leur philosophie.

Cependant, si optimiste qu’on soit, il faut bien reconnaître que la vie offre des ombres. La maladie en est une. Ici, Bossuet reprend l’avantage; il nous force au silence par la peinture de ces tristes maux, de ces désordres épouvantables qui accablent l’humanité. Il le fait avec une vérité terrible et brutale. Lisez cette peinture des salles d’hôpital qu’envieraient nos naturalistes modernes : « Entrez, messieurs, dans ces grandes salles pour y contempler le spectacle de l’infirmité humaine. Là, vous verrez en combien de façons la maladie se joue de nos corps; là elle étend, là elle retire, là elle tourne, là elle disloque; là elle relâche, là elle engourdit, là sur le tout, là sur la moitié; là elle cloue un corps immobile, là elle le secoue par le tremblement. La maladie se joue comme il lui plaît de son corps que le péché a donné en proie à ses cruelles bizarreries. » Ailleurs, Bossuet veut peindre la terrible maladie du cancer, si mystérieuse et si sûre dans sa marche et dans sa fin : «Comment cette merveilleuse constitution, dit-il, est-elle devenue si soudainement la proie de la mort? d’où est sorti ce venin? En quelle partie de ce corps si bien composé était caché le foyer de cette tumeur malfaisante dont l’opiniâtre malignité a triomphé des soins et de l’art? que nous ne sommes rien ! O que la force et l’embonpoint ne sont que des noms trompeurs ! Car que sert d’avoir sur le visage tant de santé et tant de vie si la corruption nous gagne au dedans, si elle attend, pour ainsi dire, à se déclarer qu’elle se soit emparée du principe de vie, si, s’étant rendue invincible, elle sort enfin tout à coup avec furie de ses embûches secrètes et impénétrables pour achever de nous accabler! »

Encore la maladie peut n’être qu’un passage et ramener après elle la santé; tant qu’elle dure, d’ailleurs, c’est encore la vie : souffrir, c’est vivre. Mais, quoi qu’on en ait, bonne ou mauvaise santé, longues ou courtes années, peu importe : tout finit par finir, et si belle que la comédie ait été dans tout le reste, dit Pascal, le dernier acte est toujours sanglant. C’est sur ce dernier acte que les moralistes chrétiens s’appesantissent avec le plus de complaisance; car.