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C’est dans cet âge que l’on voit les passions éclore et mûrir. On a peu de choses à dire aux enfans et aux vieillards, et les jeunes gens sont avertis par cela même que l’on parle aux hommes. Bossuet n’avait donc rien à dire de particulier sur la maturité. Demandons-lui plutôt ce qu’il pense de la vieillesse. Il y dénonce deux illusions : l’une de croire que la vie a été longue parce que l’on a vécu longtemps ; l’autre, que les vices et les passions s’éteignent avec le temps. « Quoique l’on me montre des cheveux gris, que l’on me compte de longues années, je soutiens que la vie ne peut être longue, j’ose même assurer qu’il (ce vieillard) n’a pas vécu. Car, que sont devenues toutes ces années ! Elles sont passées, elles sont perdues ; elles ne sont pas capables de faire nombre... Tout est mort en lui; et la vie étant vide de toutes parts, c’est erreur de s’imaginer qu’elle peut jamais être estimée longue.» D’un autre côté, « jetez les yeux sur vos proches, sur vos amis, vous ne verrez que trop tous les jours que les vices ne s’affaiblissent pas avec la nature et que les inclinations ne changent pas avec la couleur des cheveux. Au contraire, si nous nous laissons dominer par la colère, la vieillesse, loin de la modérer, la tournera en aigreur par son chagrin ; et, quand on donne tout au plaisir, on ne voit dans l’âge avancé que des idées trop présentes, des désirs trop jeunes; et, pour ne rien dire de plus, des regrets qui renouvellent tous les crimes. »

Tout cela peut être vrai ; mais on voudrait cependant une philosophie plus aimable et plus consolante. Sous ce rapport, les anciens voyaient les choses avec plus de sérénité et peut-être plus de sagesse. En lisant le de Senectute, on se prend à croire que la vieillesse est le plus beau des âges; au moins a-t-il sa beauté. C’est quelque chose, après tout, que d’avoir vécu, que d’avoir derrière soi, avec certitude, les années que les autres ont encore à parcourir, sans doute, mais qu’ils ne verront peut-être pas. Jeunes gens, qui raillez si volontiers les vieux, ne soyez point trop fiers, car nous avons quelque chose de plus que vous : nous sommes sûrs d’avoir été jeunes et vous n’êtes pas sûrs de devenir vieux ; nous sommes encore là, tandis qu’aucun de vous ne peut se promettre avec certitude d’arriver où nous sommes. L’argument de Bossuet prouve trop ; si toute vie s’équivaut, puisque le nombre des années n’y fait rien, pourquoi ne pas désirer que nos enfans meurent aussitôt après leur baptême? Mais aucun ascétisme ne va jusque-là : donc la durée de la vie est quelque chose. Que ne dira-t-on pas encore et des souvenirs qui prolongent notre vie en arrière, et des espérances de la famille qui la prolongent en avant ! Que dire aussi de la conscience d’avoir accompli une vie utile et de sentir que, même malgré l’âge, on peut encore servir à quelque chose