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sang et dilaté, contrairement à ce qu’on observe en général ; car, après décapitation, le cœur est en général contracturé et tout à fait exsangue. Peut-être la mort était-elle survenue quelques instans avant la décapitation. D’ailleurs, au dire des assistans, Gagny ne pouvait plus se soutenir, et on fut forcé de le porter pour lui faire subir le coup fatal.

Ces cas de mort causés par la peur sont assurément tout à fait exceptionnels. Mais la syncope est assez fréquente. Pour ma part, j’ai eu l’occasion d’observer un fait de ce genre qui n’a eu heureusement aucune conséquence grave. Faisant chez moi des expériences de somnambulisme sur V…, très bon sujet somnambulique, — j’étais seul avec mon ami, M. Th. Ribot, le savant directeur de la Revue philosophique, — j’essayai de provoquer, ce qui était très aisé, une hallucination, en disant à la patiente : « Vous avez le bras coupé… Tenez, regardez, voici le sang qui coule ! » Alors aussitôt elle tombe par terre, sans mouvement, sans respiration : les battemens du cœur s’étaient arrêtés : toute vie était suspendue, et, à ma grande épouvante, pendant une demi-minute, cette syncope persista, sans laisser d’ailleurs aucune trace, et sans que V… ait jamais su l’accident qu’elle avait subi. Quoique la peur ait chez elle provoqué une syncope, j’oserai affirmer que la peur a été pour moi bien plus que pour elle.

Mon maître, M. Verneuil, m’a aussi raconté l’histoire d’un jeune homme, qui, en maniant maladroitement un revolver, fit partir le coup. Il crut n’être pas blessé ; mais soudain, en apercevant sa blouse, il s’aperçut qu’elle était trouée, et alors la frayeur, frayeur rétrospective, comme cela arrive parfois, lui fit perdre connaissance.

Quelqu’un, passant dans une rue, fut arrêté par la chute d’une énorme pierre qui tomba à ses pieds. L’individu continua sa route très tranquillement ; mais, à quelques pas de là, il chancela et eut une syncope.

Dans une réunion d’hommes et de femmes, comme par exemple dans le public assemblé pour assister à des scènes d’acrobatie, des exercices de trapèze, ou des parades avec des animaux féroces, il n’est pas rare que quelqu’un, et plus généralement une femme, se trouve mal subitement. Or toutes ces expressions se trouver mal, perdre connaissance, défaillir, sont synonymes de syncope. Ce sont donc là des syncopes déterminées par la peur ; et si les syncopes de frayeur allant jusqu’à la mort sont d’une extrême rareté, celles que suit un prompt rétablissement sont relativement assez communes. D’ailleurs toutes les émotions morales sont dans ce cas : la joie, la douleur, le dégoût, peuvent amener la syncope, parfois même la syncope mortelle ; et Rabelais, qui était grand médecin non moins