la description des caractères. On trouve chez lui des portraits qui, s’ils n’ont pas le tour pittoresque qu’affecte La Bruyère, ont une touche large et fière que ne connaissait pas celui-ci. Déjà quelques passages sur les femmes, que nous avons cités, ressemblent à des portraits satiriques ; vous en trouverez d’autres de même nature sur divers genres de personnages; et pour aller tout d’abord d’une extrémité à l’autre, passons des femmes aux philosophes et aux savans. Ici, c’est nous-mêmes qui sommes en jeu : c’est de notre cause qu’il s’agit. De te fabula narratur : écoutons avec respect.
Ne demandons pas à Bossuet rien qui ressemble à ce culte que l’on a aujourd’hui pour ce qu’on appelle « la science, » c’est-à-dire à cet amour de la science pour la science, qui a remplacé ce qu’on appelait autrefois l’art pour l’art ; encore moins doit-on trouver chez lui la prétention que nous avons aujourd’hui de tout diriger et de gouverner les hommes par les seules lumières de l’esprit humain. Cependant, il a bien compris la source de cette nouvelle idolâtrie. « Entre toutes les passions de l’esprit humain, l’une des plus violentes, c’est le désir de savoir; » et, quoiqu’il ne soit pas, dit-il, « de ceux qui font grand état des connaissances humaines, » son généreux esprit, cependant, ne peut s’empêcher d’être sensible aux efforts que le génie humain a faits pour pénétrer la nature et pour se rendre maître de la nature elle-même. Il développe, dans une énumération qu’il renvoie lui-même à la rhétorique, tous les artifices de la science et de l’art : « Quoi plus ! ajoute-t-il par un dernier trait, il est monté jusqu’aux cieux [1] ; pour marcher plus sûrement, il a appris aux astres à le guider dans ses voyages ; il a obligé le soleil à rendre compte de tous ses pas! » Mais, après avoir reconnu dans ce domaine toute la grandeur du genre humain, il est bientôt frappé des excès et des vanités auxquels cet instinct de savoir peut donner lieu. Il rabat l’ambition des savans bien plus qu’il ne encourage ; il signale l’abus de la science et l’orgueil de la pensée. Il ne voit dans les sciences profanes « qu’un divertissement de l’esprit; elles ont si peu de solidité que l’on peut, sans grande injure, n’en faire qu’un jeu. » Il dénonce, avec saint Bernard, trois excès des savans : d’abord savoir pour savoir : Quidam scire volunt ut sciant ; en second lieu, apprendre et savoir, pour se rendre célèbre et faire connaître son nom, ut sciuntur ipsi; enfin, pour se faire de la science un moyen de trafic, ut scientiam vendant. En un mot, la science est tantôt un spectacle, tantôt une
- ↑ Il ne s’agit pas, bien entendu, des ballons. Ce n’est qu’une expression figurée pour exprimer les services rendus par l’astronomie à la navigation.