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tout entier au sentiment chrétien, la nature proprement dite ne l’intéresse pas; il ne voit partout que corruption et misère; mais si les sages profanes ont peut-être quelque chose à redire à cet excès de sévérité, en quoi nos pessimistes et nos misanthropes pourraient-ils se plaindre, eux qui, sans aucune compensation, sans l’excuse d’une meilleure destinée, n’ont pour tout ce qui est humain que paroles amères, et pour la vie que malédiction et blasphèmes? Anéantissement pour anéantissement, mieux vaut encore s’abîmer en Dieu que dans le néant.

Si sévère pour les femmes et pour le monde, on devine que Bossuet n’aura pas beaucoup de complaisance pour la culture d’esprit chez les femmes, que nous encourageons tant aujourd’hui ; on ne trouvera pas chez lui, on ne devra point lui demander cette libéralité noble qui rend si aimable et si vivant encore l’ouvrage de Fénelon sur l’Education des filles. Fénelon veut faire travailler les filles : « L’ignorance d’une fille, dit-il, est cause qu’elle s’ennuie;» et, « l’ennui des filles est dangereux. » Bossuet n’a pas une telle complaisance pour l’esprit. Pour lui, c’est l’étude qui est dangereuse: «Fuyez comme une passion toutes les curiosités, tous les amusemens d’esprit; car les femmes n’ont pas moins de penchant à être vaines par l’esprit que par le corps. Souvent les lectures qu’elles font, avec tant d’empressement, se tournent en parures vaines et en ajustemens immodestes de leur esprit ; souvent elles lisent par vanité, comme elles se coiffent. » Il y a une grande vérité dans ces peintures ; mais on peut se demander si les femmes qui tirent ainsi vanité de leur esprit ne seraient pas précisément celles qui, n’ayant pas été instruites d’une manière solide, font leur éducation dans le monde à l’aide des romans à la mode, dans la fréquentation des théâtres les plus immodestes, et dans la lecture des journaux bien pensans et très corrompus.

Si peu exigeant pour l’instruction des filles, Bossuet ne le sera pas beaucoup plus pour leurs éducatrices. Ce sont évidemment pour lui les religieuses ; et, pour celles-ci encore, plus que pour leurs élèves, la lecture et l’étude sont plus à craindre qu’à recommander. La piété est la seule instruction qu’il leur demande : « Aimez! aimez ! disait-il aux religieuses qui tenaient des maisons d’éducation : vous saurez beaucoup en apprenant peu... Qui sait cela sait tout. Voilà la science de Jésus-Christ. »


V. — LES CARACTÈRES.

Nous venons de voir que Bossuet ne le cède à aucun de nos moralistes français pour la peinture des passions. Il en est de même de