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connaître les signes de la peur, s’en tenir aux signes donnés par l’homme ; car là il n’y a plus d’incertitude sur la nature de l’émotion qui a ébranlé la conscience, et l’analyse physiologique (étude du mouvement) peut concorder avec l’analyse psychologique (étude de la conscience).

La peur agit de deux manières : tantôt elle paralyse et rend immobile ; tantôt, au contraire, elle excite et donne des forces extraordinaires. Elle est agent tantôt d’excitation, tantôt de paralysie. Tel individu pris de peur reste cloué sur place, pâle, inerte : ses jambes se dérobent sous lui : il ne peut avancer, il sent toutes ses forces défaillir. Tel autre, au contraire, détale comme un lièvre ; la peur lui donne des ailes, comme on dit, et il laisse sans secours son malheureux compagnon, qui est impuissant à fuir, alors que, dans sa course rapide, lui-même s’est déjà mis hors de danger.

En même temps surviennent des phénomènes physiques tout à fait spéciaux et qui ressemblent, à quelques nuances près, aux effets physiologiques du dégoût et de la douleur. Rien de mieux, pour les décrire, que d’emprunter les expressions populaires ; car elles sont plus imagées et plus exactes que les termes scientifiques. Le langage des poètes et le langage des gens du peuple emploient pour désigner les effets de la frayeur une remarquable richesse d’expressions et d’images. — Les cheveux se hérissent sur la tête. Le corps est pris d’un tremblement, d’un frisson général, si fort que les dents se heurtent avec force l’une contre l’autre, faisant un bruit qui s’entend de loin. Les mains sont animées d’une agitation telle qu’elles ne peuvent plus rien serrer, de sorte que l’objet que nous tenons est comme secoué par le frémissement des mains. Il n’y a plus de force, plus d’énergie. Les jambes fléchissent (flageolent, comme on dit vulgairement). Une sueur abondante couvre tout le corps, et, comme elle n’est pas accompagnée de chaleur de la peau, elle nous paraît froide, presque glacée. La peau elle-même frissonne ; et les petits bulbes pileux de la peau se redressent, se durcissent : c’est ce qu’on appelle la chair de poule. Un grand frisson convulsif, accompagné d’une sensation de froid intense, traverse tout le corps, depuis la nuque jusqu’au talon, en courant le long du dos à plusieurs reprises, comme une onde électrique froide. La figure pâlit. Les battemens du cœur se précipitent, tumultueux, avec une si grande force qu’on est tenté d’appuyer la main sur la poitrine pour en arrêter la violence, comme si le cœur allait briser la paroi derrière laquelle il frémit. Quelquefois, au contraire, les mouvemens du cœur se ralentissent en donnant une sensation d’angoisse indicible : il semble que la source de la vie va manquer. Les pupilles se dilatent. Les yeux s’ouvrent largement. Les traits de la figure prennent un aspect caractéristique,