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mais que cette doctrine soit coulée dans le même moule et se serve, pour s’exprimer, de tours, de mouvemens, d’expressions même toutes semblables, c’est là une rencontre qui a embarrassé bien des critiques. La solution serait bien simple si les passages de Bossuet étaient postérieurs à ceux de Pascal ; on pourrait dire : Bossuet s’est inspiré des Pensées de Pascal. Mais ces passages se retrouvent presque tous dans les sermons de Bossuet ; et Bossuet avait cessé de prêcher lorsque parurent, en 1670, les Pensées de Pascal. Faut-il supposer, avec M. Ernest Havet, que Bossuet a eu communication du manuscrit de Pascal, ou, avec M. Floquet, que Pascal a assisté aux sermons de Bossuet? N’est-il pas plus simple encore, comme le pense M. Brunetière, de ne chercher aucune autre explication que la rencontre naturelle de deux grands esprits qui, ayant à dire la même chose, et la puisant d’ailleurs au même fonds, sont arrivés, par leur génie même, à la dire de la même manière[1] ?

Quoi qu’il en soit, rappelons les différens passages où les deux grands apologistes se sont rencontrés d’une manière si frappante : « mort ! s’écrie Bossuet dans le Sermon sur la mort, toi seule nous convaincs de notre bassesse; toi seule nous fais connaître notre dignité. Si l’homme s’estime trop, tu sais réprimer son orgueil ; si l’homme se méprise trop, tu sais relever son courage. » Ce mouvement et cette double antithèse ne rappellent-ils pas cette autre antithèse, si connue, de Pascal: « s’il se vante, je l’abaisse; s’il s’abaisse, je le vante. » Peut-être Pascal l’emporte-t-il sur Bossuet par l’énergie et la concision, mais l’antériorité est à Bossuet. Même similitude dans cet autre morceau : « O Dieu ! qu’est-ce donc que l’homme? Est-ce un prodige? Est-ce un composé monstrueux de choses incomparables? Est-ce une chimère inexplicable ? » Rappelez-vous la page correspondante de Pascal : « Quelle chimère est-ce donc que l’homme? Quel chaos! Quel sujet de contradiction! etc. » Le terme même de misère et de misérable, dans un sens qui n’est pas tout à fait l’ordinaire, est le même dans les deux écrivains : « Il n’y a en l’âme que misère, dit Bossuet, misère en son origine, misère dans toute la suite de la vie, misère profonde, misère extrême. » Ne sont-ce pas là « ces misères qui nous serrent et qui nous tiennent à la gorge? » Bossuet dénonce encore, comme Pascal, l’impuissance des philosophes à expliquer ce mystère, les uns ne voyant que la grandeur de l’homme, les autres que sa misère ; les uns en faisant un Dieu,

  1. Voir sur ce point M. Brunetière, Sermons choisis de Bossuet, p. 190. Paris, 1882.